Rencontre entre deux perdus [PV Remie]

Maison Saphir - Dortoir 4F. Voilà ce qui était écrit sur la fiche qui avait été remise à Remie. C'était là que l'adolescente devait s'installer. Encore fallait-il trouver le bon bâtiment et y trouver son chemin. Remie arpentait les couloirs en regardant partout autour d'elle, scrutant la moindre indication. Cela faisait moins d'une heure qu'elle était à Tsuki et elle commençait déjà à douter.
"Dans quoi je me suis embarquée" pensa-t-elle en observant le dédale de couloirs. Elle se dit ensuite que cela ne pourrait de toute façon pas être pire qu'avec tante Olivia.

Dans son périple, Remie croisait des dizaines d'autres étudiants, mais n'osait pas leur demander son chemin. Gymnase, salle du personnel... les panneaux se succédaient mais rien ne semblait correspondre à ce qu'elle cherchait. Soudain, la jeune fille stoppa net sa marche. Quelque chose l'avait interpellé. Une odeur, une ambiance familière. Elle tourna la tête, puis aperçut une large devanture munie de portes en verre, au-dessus de laquelle était inscrit en gros "BIBLIOTHÈQUE". La pupille de Remie se dilata. Pour elle qui n'avait presque pas pu satisfaire sa soif de livres pendant des années, cet endroit surgit de nulle part semblait magique. Remie ne put s'empêcher de pénétrer dans ce royaume de papier. En parcourant les étagères, elle allait de trouvaille en trouvaille. Mais le temps pressait, et sa valise commençait à l'handicaper sérieusement.
Cette découverte lui avait remonté le moral et lui concédait soudainement une confiance accrue. Elle demanda d'une petite voix à une élève :
"On peut emprunter les livres ?
-Bien-sûr, ils sont là pour ça", répondit-elle avec le sourire
Si cela n'en tenait qu'à elle, elle aurait emprunté toute la bibliothèque. Mais comme elle était déjà bien encombrée, elle se contenta de deux romans. Remie sortit de la bibliothèque puis poursuivi son chemin. Lassée de marcher dans les couloirs, elle se mit à lire, avançant de plus en plus lentement. En face d'elle se trouvait un garçon assis sur le sol, fixé sur sa console de jeux vidéo. Remie le remarqua en détourant son attention de son livre, le garçon ayant une attitude contrastant avec les autres élèves qu'elle avait pu croiser auparavant.

Remie était désormais plongée dans sa lecture. Impassible, elle avait presque oublié son objectif d'atteindre son dortoir. En fait, elle était tellement absorbée qu'elle en aurait oublié où elle était et ce qu'elle était venue faire. Plongée dans un autre monde, elle se sentait bien. S'évader dans les livres est ce qu'elle avait toujours fait enfant pour échapper au monde extérieur. Un son provenant de sa gauche la ramena soudainement à la réalité.

"Hum... Désolé.."
Ce son provenant de sa gauche surpris Remie, d'autant plus qu'il venait troubler le calme des lieux.
"...Mais tu sais où sont les toilettes ?"
Cette fois-ci il n'y avait plus de doute, quelqu'un avait parlé. Remie interrompit sa lecture et se mit alors
à réfléchir, le regarde vide. Lui aurait-t-on adressé la parole ? Elle ne croyait pas cela possible, elle qui marchait sans prêter attention à personne. Mais dans le doute, c'était la panique dans son esprit. Il fallait impérativement analyser la situation, car Remie ne voudrait pas ignorer un élève juste après son arrivée. Cela serait bien mal commencer sa nouvelle vie à Tsuki. Remie observa alors discrètement autour de soi. Personne à l'horizon... mis à part ce garçon, qui s'était levé et qui désormais la regardait. Le coeur de Remie accéléra alors que la probabilité que ce garçon lui ait parlé était de plus en plus grande. Si c'était le cas alors il fallait lui répondre. Mais Remie avait peur que ce ne soit en réalité pas le cas, et donc de passer pour une folle en réagissant à quelque chose qui ne lui était pas du tout destiné. Tel était le dilemme récurrent des gens souvent plongés ailleurs qui sont brutalement sollicités dans le monde réel.
Toutes ces tergiversions avaient bloqué Remie plusieurs secondes à regarder dans le vide sans rien dire. Il fallait agir, car cela n'était plus tenable. Elle se décida alors, malgré le risque de réagir à ce qu'elle avait entendu. Elle lança d'une voix très frêle :
"Moi ? Non je... je suis nouvelle."
Remie trouva cette réponse courte et peu satisfaisante. "Fais un effort" pensa-t-elle, avant de finalement ajouter :
"Je cherche le dortoir 4F de la maison Saphir".
Immédiatement elle regretta ces paroles. Ce garçon lui demandait une information, et voilà qu'elle en demandait implicitement une autre sans avoir répondu à la sienne. Elle se dit alors que ce premier contact à l'académie semblait bien maladroit...

Remie regardait le jeune garçon, l'air gênée. Son manque de confiance en elle lui donnait une peur permanente de ne pas bien avoir compris la requête,  de ne pas s'être exprimée correctement, ou de paraître ridicule en faisant une bourde quelconque. La réponse se faisait attendre, renforçant ces sentiments. Le visage de Remie se crispa peu à peu. Au bout de quelques secondes, le jeune garçon pris enfin la parole.
"Je suis un saphir aussi..."
Cette phrase soulagea Remie qui vit ses craintes s'évaporer. Sauf qu'il fallait maintenant répondre quelque chose. La jeune fille se sentit soudain désemparée, elle n'avait plus rien en tête et ne savait pas quoi dire. Le jeune garçon est donc dans la même maison qu'elle ? Cela veut-dire que peut-être...
"Je peux t'accompagner dans ton dortoir si tu veux", ajouta le jeune garçon, coupant Remie dans sa réflexion.
"Trouver mon dortoir, voilà l'objectif dont je suis égaré..." pensa-t-elle. Ses errements dans les couloirs avaient finalement fini par payer, pusique ce jeune garçon qui semblait bien connaître les lieux lui proposait de l'emmener à son dortoir. Il ne fallait pas laisser passer cette occasion.
"Oui je... je veux bien, merci" répondit Remie d'une voix basse.
"Bon tout va bien, je n'ai qu'à suivre ce garçon et je pourrai au moins m'installer" se dit-elle en essayant de se rassurer.

La jeune fille était anxieuse à l'idée se s'installer dans un nouvel environnement où elle ne connaît absoluement rien. Le retour à la réalité après sa séance de lecture était difficile... Elle rangea son livre dans son sac, prévoyant déjà de le ressortir à la moindre occasion, et attendit que le jeune garçon se mette en route. Elle le vit regarder autour de lui dans chaque direction que prenaient les longs couloirs de l'aile Nord. Elle trouva cela plutôt hésitant.
"Si même pour les gens d'ici cela ne coule pas de source, c'est que cette académie est un vrai labyrinthe !",  pensa-t-elle.
Elle n'osait pas le regarder, préférant regarder son sac et faire semblant d'être occupée en attendant que la situation bouge.

L'attente de Remie fut enfin interrompue par le jeune garçon.
" C'est par là je crois..." murmura-t-il.
Remie sortit de ses pensées et regarda la direction pointée du bras par son camarade : un couloir dont on ne pouvait voir la fin. Le jeune garçon se mit en route, et Remie commença à le suivre. Ils s'engouffraient dans cette longue allée, dont les murs étaient bordés de fenêtre en arc de cercle à intervalles réguliers. La lumière du jour y pénétrait, formant des rayons blancs écalant qui contrastaient avec l'obscurité dominante du couloir. Seul le bruit raisonnant des pas des deux élèves venaient troubler la quiétude de cet espace vide.

Le jeune garçon se retourna brièvement en jetant un regard vers Remie.  Il portait un pull rose paraissant trop grand - on ne voyait pas ses mains - et un pantalon noir. Ses cheveux clairs semblaient assez désordonnés et mal coiffés. Par réflexe, la jeune fille le regarda puis détourna nerveusement le regard. Remie se demandait en permanence à quel moment elle allait faire mauvaise impression. Rester derrière le garçon et ne rien dire ne pouvait qu'augmenter ses chances de retarder cette échéance... à condition qu'il ne se retourne pas. Quelques secondes plus tard justement, il le fit à nouveau, avant de finalement fixer le mur. "Ouf" se dit intérieurement la jeune fille, soulagée que cette nouvelle épreuve ait été rapidement résolue. Elle avait toutefois été un peu vite, puisqu'une voix raisonna dans le couloir.
"Et... Tu t'appelles comment ?"
"Pas de gaffe, c'est simple, j'ai juste à dire mon prénom" pensa Remie de sa voix intérieur. Elle balbutia :
"Rem..."
À cet instant, la jeune fille eut un flash. Toutes les moqueries et les méchancetés précédées de son prénom ainsi que les jeux de mots répétés par certains camarades dans son ancienne école lui revinrent en tête. Elle ne voulait pas que cela recommence, elle ne voulait pas être LA personne bizarre, elle voulait tirer un trait sur tout ça. Ce nom, dans ce contexte, était associé à trop de mauvais souvenir. Elle ne voulait plus être Remie. Elle ne voulait plus être la Remie qui est moquée et détestée. La jeune fille bégaya, en cherchant tous les prénoms lui passant par la tête, pourvue que ce ne soit pas Remie.
"euh... euh... Valent...ine. Je m'appelle Valentine". Valentine était la version féminine du prénom dans son ami d'enfance. Une part d'elle regrettait ce mensonge, et pensa immédiatement que cela risquait d'être une source d'ennui. Mais c'était plus fort qu'elle, une manière de repartir de zéro en quelque sorte. La jeune fille était toutefois très gênée, comme si ce mensonge éhonté pouvait être mis au grand jour à tout moment. Elle tenta alors de changer rapidement de sujet, faisant de ce fait preuve d'une loquacité inhabituelle :
"Et toi ? ça fait longtemps que tu es ici ? est-ce que c'est bien ?"

Remie espérait que cet assaut de questions ferait oublier au jeune garçon le prénom qu'elle venait de dire. Le jeune garçon attendit quelques instants, puis répondit :
"Je m'appelle Aloïs et je viens d'arriver aussi"
Un nouveau. Il était nouveau, tout comme elle. Remie n'allait donc pas pouvoir obtenir beaucoup d'informations sur le fonctionnement de l'académie, et encore moins de réponses à ses craintes. D'un autre côté, le fait que le jeune garçon soit lui aussi fraichement arrivé la rassurait, car elle se sentait moins jugée qu'avec un élève appartenant véritablement à l'académie. Ce garçon avait au moins un point commun avec elle : il était peu habitué aux lieux et ne connaissait probablement personne. La jeune fille tacha de répondre :
"Ah d'acc..."
Elle s'arrêta brusquement, perturbée car elle venait de se rendre compte qu'elle était passée devant le jeune élève, qui ne se trouvait plus dans son champ de vision. Elle jetta un coup d'oeil en arrière, puis vit Aloïs arrêté, quelque mètres derrière elle. Remie se sentit alors idiote de ne pas l'avoir remarqué immédiatement et d'avoir commencé à répondre à moitié dans le vide. Elle revint légèrement sur ses pas afin de retourner aux côtés du jeune garçon, l'air désolée. Le garçon semblait avoir un sourir gêné.
"Quelle débile je fais !" pensa Remie.
Le garçon se remit à marcher, mais en sens inverse. Les deux jeunes revirent alors sur leurs pas.
"Pourquoi est-ce qu'on rebrousse chemin" se questionna intérieurement Remie, finalement intriguée par ce trajet. Le jeune garçon se dirigea vers un couloir qui embranchait à gauche.
"J'espère qu'il n'est pas en train de se moquer de moi" se dit alors Remie dans un léger élan de paranoïa.

La marche avait repris son rythme, Aloïs précédait la jeune fille qui tâchait de le suivre. Remie espérait le chemin serait bientôt terminé, sa valise commençait à peser son poids. Elle était inquiète à l'idée de devoir faire tous les jours ce chemin qui paraissait si long. Avec le rebroussement de chemin et la tendance de la jeune fille à rester dans ses pensées sans faire attention à ce qui se passe autour d'elle, il n'y avait pas beaucoup de chance pour qu'elle se souvienne du chemin une fois arrivée. Remie voulait demander à Aloïs si c'était encore loin. Elle commença à réfléchir à plusieurs formulations :
"Excuse moi, est-ce qu'on est... non", dit-elle dans sa tête pour s'entraîner. "Est-ce que je peux te demander quelque chose... non ça ne va pas."
Ses pensées furent interrompues par le jeune garçon :
"Tu viens d'où ?", lança-t-il avant d'ajouter quelques instants après : "Moi, je suis Suédois".
Cette question pris de cours la jeune fille qui  bégaya laborieusement :
"Je...euh je... de... Irlande, je viens d'Irlande".
"Il y a vraiment des gens de partout ici", pensa-t-elle. Ce dialogue l'avait coupée dans son élan, elle devait se remettre à préparer son intervention.
"Dis, est-ce que il reste encore beaucoup à... non il vaut mieux que je l'appelle par son prénom, sinon je vais paraître froide. Comment c'est déjà... zut je l'ai déjà oublié, j'ai déjà oublié son prénom, quelle idiote je fais ! Vite le temps presse ! Ala, Ali... Alan, Alanis...  Aloïs ! c'est ça oui !". Sans réfléchir, elle se lança :
"Aloïs, est-ce qu'on est bientôt arrivé ?"
Au même instant, le jeune garçon s'arrêta net. Devant eux se trouvait une large porte, au dessus de laquelle figurait un large écriteau bleu. "Dortoirs Maison Saphir"
Remie eût un sourire gêné et se mit à rougir.