Qu'est-ce qui nous fait pleurer ? Nos regrets, nos remords, ce souvenir d'avoir laissé quelque chose inachevé ? Tu sais, frangine, je suis consciente que moi aussi j'aurais dû faire mieux, mais à force d'hésiter entre faire bien ou faire vite, on ne fait aucun des deux. Est-ce que, toi, tu as encore ce genre de sentiments ? Est-ce que c'est moi la plus étrange si je pleure en pensant aux deux sœurs que nous étions, avant ? Est-ce moi dont la mentalité est à revoir, est-ce qu'après avoir effacé toutes ces belles années, je peux regretter de ne pas les avoir ? Est-ce que je suis seulement autorisée à être nostalgique de quelque chose dont je nous ai privée ? Tu sais, parfois je pense à revenir te demander pardon, mettre un terme à tout ce scénario bidon, mais je n'ai pas encore la volonté, je ne t'ai qu'à moitié pardonnée, et puis, je me demande qui de nous deux est la pire ? L'instigatrice de la première offense, ou celle de la vengeance ? Je me demande si je ne veux pas simplement ne pas m'avouer la vérité, à vrai dire.
"J'admire les élans de sympathies. Surtout quand cela est fortuit comme ici. Néanmoins, je ne pense pas avoir le courage ou que tu ais le temps d'entendre mes plus terribles pleurs. Je pense surtout que mon récit pourrait te faire peur."
La sympathie ? Je pense que c'est bien la chose la plus simple à trouver ici, l'honnêteté est bien plus rare, tu sais ? Le temps que j'ai ne me sert qu'à patienter, je m'ennuie assez pour être prête à écouter les plaintes de toute l'humanité, alors les tiennes ne seront qu'ennui à deux. Les obstacles dont tu parles, ton courage doit être de loin le plus gênant d'eux. Je serai honnête quand je te dirai que rien ne sera répété, mais serais-tu prêt à me partager ton passé ? Oui, je suis plus curieuse que bienfaitrice, moins actrice que spectatrice, mais personne ne reprochera au prédateur de vouloir connaître sa victime désignée. Nous serons confidents sincères, vivrons souffrant et tortionnaire, nous séparerons perdant et survivante éphémère. Penses-tu, toi, que les monstres connaissent la "peur" ? Ils sont conscients de celle qu'ils provoquent, mais pas de celle qu'ils ressentent. Ça ne sera pas moi qui me tiendrai face à toi en pleurs, les démons ne se sentent honnêtes que quand ils mentent. Mais je tiendrai ma promesse, je te ferai accepter pour un moment ta tristesse, les émotions sont plus vives quand on les sent partagées, mais ça ne sera pas à moi de te rattraper. Je ne te ferai pas descendre aux enfers, pas tout de suite, si tu veux courir je te laisserai même faire, la traque est bien plus amusante qu'un meurtre à la va-vite.
"Je ne connais plus la peur aujourd'hui, mais l'envie d'aider quelqu'un de malheureux oui. Je n'ai aucunement l'intention de te forcer, mais sache que tout ce que je veux c'est t'aider à te relever, ou du moins t'y encourager."
Quel genre d'histoires pourrais-tu me raconter ? Ton passé est-il empli de tristesse et de souvenirs amers, ou es-tu, comme moi, du genre à concrétiser toi-même ton propre calvaire ? On a tous des pensées sur lesquelles se lamenter, et je sais que j'ai commis des erreurs, que je les ai répétées comme comble du malheur, je reconnais avoir changé ma routine en douleur, mais ce n'est que quand elle est absente qu'on envie une vie pleine de couleurs. Et toi, es-tu un démon aussi ou combats-tu les tiens ? As-tu la volonté de rester vertueux, ou es-tu vagabond sans chemin ? Mon histoire n'est pas unique, mais j'espère quand même que tu ne seras pas simple miroir. Reflet de mon âme ou image de mon sourire, j'espère de tout cœur que tu sauras me divertir. Mais tu vas voir, je serai heureuse de t'offrir ton euthanasie dans l'agonie, si tu souffres trop. Je ne demanderai pas une conscience pour nous avoir rendu ce service, et je ne me sentirai sans doute pas plus humaine à pousser mes vices, mais s'amuser, c'est toujours mieux à deux, et au moins, l'un de nous vivra quelques secondes un peu moins malheureux.