Cacophonie du soir, bonsoir ! [Pv Hideki ]

Bon bah voilà. L'été se prolonge, et je n'ai toujours pas trouvé de créneau pour voir ma famille. Je suis vraiment bon à rien. Mais bon ! Au moins, je me fixe des objectifs. Genre, me remettre à la lecture, c'est fait. Et maintenant, j'aimerais réaliser quelque chose que je voulais faire depuis un sacré bout de temps : Apprendre à jouer du piano. C'est un peu bizarre, mais je me suis toujours dit que c'était cool comme instrument le piano. Genre, je peux faire presque toutes les chansons avec un piano. Et puis, d'après ce que j'ai vu sur le net, c'est l'instrument idéal pour commencer, étant donné que les notes sont bêtement alignées devant toi. Vrai ou pas, je n'en sais rien. En tout cas, je vais m'essayer au Piano !

Au début, je voulais demander à un prof de m'aider. Sauf que voilà, il fallait déjà trouver un prof. Et en fait... J'ai carrément eu la flemme. Genre, je sais que ça m'aiderait à aller plus vite etc. Puis honnêtement, je n'ai pas envie que quelqu'un sache que je suis si nul en musique. Je sais, c'est totalement débile comme raisonnement. On peut peut pas commencer en étant Mozart, et c'est le rôle du prof dû m'apprendre à devenir meilleur. Sauf que voilà, quand je me suis renseigné, apparemment c'est des cours à plusieurs ! Et là, j'ai dit non. Déjà que j'aurai du mal à jouer si un prof m'écoutait, alors s'il y avait des élèves en plus... Hors de question, j'apprendrais seul, et c'est tout.

Du coup, le lendemain je me suis rendu  en salle de musique. Le but était de trouver un créneau dans lequel je suis certain que personne ne peut venir et m'entendre. J'ai d'abord essayé de venir le matin. Et curieusement, ça a plutôt bien marché ! Donc, j'ai passé une demi-heure à chercher un bon tuto sur internet ( oui, j'ai décidé de me fier à internet plutôt qu'à un vrai professeur. Mais au moins, internet ne me jugera pas). Et donc, quand j'ai trouvé... Une violoniste est arrivée et a commencé à jouer du violon super bien. Du coup, je suis parti très vite. Le matin suivant, elle est arrivée avant moi, et ainsi de suite pendant une bonne semaine.

Du coup, il était temps de trouver un autre créneau. j'ai songé au midi. Quand tout le monde mange, moi je serais dans la salle de musique ! Néanmoins, non seulement ça implique de se taper les restes que personne ne veut, mais en plus l'idée est déjà prise par d'autres gens. Donc le midi c'est fichu. J'avoue que j'ai failli perdre espoir. Je me suis dit que de toute façon ça sert à rien d'apprendre le piano, et que je ferai mieux de laisser tomber. Sauf que voilà, en demandant à ma soeur, elle m'a donné la solution. Après le dîner, plus personne ne se promène dans l'académie ! Tout le monde sort, ou reste dans sa chambre... Bref, coup de chance, j'y suis allé et....

Il n'y a personne. La salle est complètement vide, entièrement pour moi. C'est parfait. C'est encore le crépuscule dehors, mais j'allume quand même la lumière. Tout content, je m'installe devant le piano, et retrouve le tuto sur mon téléphone. Bon. Apprendre où sont placées les notes, et les doigts. Bon... Étude du rythme, j'ai fait dans ma chambre... Apprendre le solfège, j'y travaille encore. Ah ! Quelques exercices de la main gauche. Du coup, j'essaie de les faire. Honnêtement, je suis nul. Je me rends moi-même compte que ce n'est vraiment pas bon. C'est là que je suis content que personne ne puisse m'entendre ! Du coup, c'est sans grande honte que j'essaie encore et encore de réussir à jouer ces quelques notes avec un minimum de grâces, ce qui ne paraît pas être une tâche facile....

Two single hearts on fire
Currently on the wire

Depuis les événements tragiques du banquet d’anniversaire de Tsuki, mon sommeil avait été lourdement troublé. En effet, je ne parvenais plus à faire des nuits complètes, bien que ce trouble fût déjà bien présent avant mon accident. Comme lorsque j’étais encore à la maison, il m’arrivait de sortir la nuit afin de profiter un peu de mon pouvoir, et d’explorer le monde sous de toutes nouvelles couleurs. Mais maintenant que dormir était chose compliquée, aussi bien physiquement que mentalement, il m’arrivait de faire des nuits complètement blanches, et d’errer dans l’académie tel un fantôme nocturne.

Bien que les souvenirs difficiles du banquet commençaient tout doucement à se dissiper dans mon esprit brumeux, il y avait des choses que je ne pouvais oublier : ma cécité m’avait épargnée bien de visions violentes, et je ne pouvais qu’en être rassuré. D’ailleurs, j’étais très étonné que le personnel ne l’académie n’ait pas fait appel à des psychologues pour gérer les élèves les plus perturbés… heureusement, je n’en faisais pas partie. J’avais bien d’autres démons à gérer.

Dans ces choses que je ne pouvais pas oublier, il y avait bien sûr ce sentiment étrange et terrifiant de flotter au-dessus du sol : même si j’étais très vite retombé, je n’oublierai jamais cette sensation si prenante, si angoissante… puis enfin, la chute. Malheureusement pour moi – ou heureusement –, je m’étais explosé contre un arbre. La sensation de dur sous mon corps fragile, mes côtes s’entrechoquant, puis se brisant à l’intérieur de moi… puis le flou, la sensation de voler à nouveau, et enfin l’air doux et tiède de l’infirmerie…

You bring the ropes and chains
I bring the pills and games

Dépassé par tous ces événements, j’en avais presque oublié mes vieux soucis : mon frère. Cela ferait bientôt un an que je serais à l’Académie. Un an sans mon frère, un an sans ma mère, mon père… un an sans tout ceux que je connaissais. Aucun, à part grand frère, n’était important pour moi. Ma mère, une femme oisive, désœuvrée et faible avait fini par très vite être oubliée. J’en oubliais sa voix, la sensation que je ressentais lorsque je la sentais contre moi. Mon père, ce con… mon corps soutenait encore, dans mes cauchemars, tous ses coups. Tous ses coups de poings, coups de ceinture, coups de pied. Certains deviendraient fous à ma place : mais je me rassurais dans mon malheur. Ici, à l’académie, j’étais protégé.

That sparkle in my eyes
Is part of my disguise

Mon frère… oh… souvent, je me posais la question : comment ais-je fais pour aimer un homme qui m’a fait souffrir, pendant de nombreuses années ? Pourquoi serais-je tombé amoureux qui m’a… violé !? Pourquoi, et des pourquoi, et encore des comment… je me posais sans cesse des questions, et je me demandais comment j’arrivais à contrôler cette folie, qui se cachait au fond de moi. Je le voulais. Notre amour impossible, ah… c’est le seul qui compte, pour moi. Le seul.

Let’s make this moment worth a while
Let’s kill the night and go down in style

Ah, putain, cette musique m’empêchait de me concentrer ! J’ôtais doucement les écouteurs fichés dans mes oreilles, puis je soupirais. C’était le soir, ou plutôt le crépuscule. Nous nous situions juste après le dîner, auquel je n’avais pas pris part. Je n’avais pas eu le courage de descendre au réfectoire, à vrai dire. J’étais resté couché dans mon lit, à attendre la minute, la seconde, où mon pouvoir se déclencherait. Cette minute, cette seconde salvatrice qui me permettrait enfin de vivre ma journée en tranquillité.

Je sortais du dortoir, et je guettais les couloirs qui commençaient doucement à se peupler… pour le moment, rien. Toujours noir. Confiant, j’attendais, tête haute. Comme de coutume, l’écran devint « bleu », et bientôt, les silhouettes des élèves présents dans le coin se discernèrent délicatement dans mon champ de vision. Parfait… c’était parfait. Je pénétrais de nouveau dans mon dortoir, et j’y prenais mon pilulier, ainsi qu’une bouteille d’eau, et enfin ma canne.

Je voulais me trouver un endroit calme, où je serais seul en toute intimité. À dire vrai, j’avais pensé à mon frère toute la journée et… je me sentais bizarre. J’avais un pressentiment intense que quelque chose allait se passer, bientôt… mais je n’en savais rien. Je me sentais perdu, si perdu… à vrai dire, je me sens perdu depuis mon arrivée ici. Ah ! Et dire que mon premier jour à l’académie, je m’étais effondré dans un buisson de ronces ! Quelle fragilité…

Je me rappelais de la salle de musique. C’était un endroit frais, intime et peu fréquenté. Il y avait beaucoup de musiciens à l’académie, je ne disais pas le contraire ! Seulement, ils étaient généralement discrets. Et je doutais très sincèrement que ces mélomanes de pacotille se rendent à la salle de musique juste après manger… à moins qu’il n’ait vraiment rien d’autre à faire. Doucement, je dirigeais mes pas vers la salle de musique, que j’avais mainte fois fréquentée.

Arrivé près de la porte, j’entendais une… cacophonie épuisante. Je poussais doucement la porte, soupirant, légèrement crispé à l’idée de tomber sur quelqu’un. Il y avait effectivement une silhouette, assise. Plutôt petite et chétive.

« Tu ne sais pas jouer. Je me trompe ? »

Purée, c'est plus dur que je ne le pensais, de jouer de la main gauche. Genre, je pensais que ça serait un minimum inné, que dés que j'allais voir les notes, j'allais parfaitement savoir ce que je devais faire. Mais non. Mon solfège n'est pas parfait, alors je prend cinq ans à déchiffrer chaque exercice, et je suis très mauvais sur le rythme. Mais bon ! Personne n'est là pour m'écouter, alors ça va !

Oui, j'avais oublié que le destin me veut du mal. Du coup, quelqu'un arrive dans la salle. Surpris, je lâche le clavier, comme si c'était un crime de jouer du piano, et je regarde l'intrus. Ce dernier ne perd pas de temps, et annonce tout de go :

Tu ne sais pas jouer. Je me trompe ?

Ouch. Même si je sais que c'est le cas, ce genre de remarque bien cash, j'avoue que ça fait quand même un peu mal au cœur quoi. Mais bon. Donc, je détaille le nouveau venu. A cause du soleil, je ne vois pas bien son visage. Néanmoins, je devine des cheveux longs et foncés, qui tombent mollement sur le côté d'un visage que je n'arrive pas à discerner. Vêtu d'habits noirs et, je dirai un peu trop large pour lui, le brun semble avoir un corps mince... Non, maigre. Des membres fins, des articulations noueuses. Donc, je dois répondre à sa question. Sa franchise est rude, mais je devine que si je suis mauvais à tel point que des gens me le disent comme ça, c'est qu'il y a un problème. Alors, j'adopte un ton plus amical, qui contraste totalement avec la sécheresse de ses paroles.

"Ouais je suis... Très très nul. Mais bon, c'est en forgeant qu'on devient forgeron... Enfin j'espère.
Mais du coup, j'imagine que tu veux que j'arrête ?"

Je suis... Bien trop gentil. Mais en fait, je veux surtout pas qu'on se quitte en de mauvais terme. Genre, il pourrait risquer de révéler à tout le monde que je suis mauvais au piano et... Ouais non, en fait j'en aurais rien à faire.... Mais bref, au pire ça me coûte rien d'être gentil.

« Ouais je suis... Très très nul. Mais bon, c'est en forgeant qu'on devient forgeron... Enfin j'espère. Mais du coup, j'imagine que tu veux que j'arrête ? »

Au moins, il l’admettait… il n’était pas du genre à monter sur ses grands chevaux à la moindre remarque, à ce que je voyais. Il semblait même plutôt sympathique. Je parie que c’est un Saphr, j’y mettrais ma main à coup, tiens ! Il n’y a que les Saphirs pour s’écraser de cette façon, et ne pas penser, à un seul instant, à la rébellion… quels soumis… ils me faisaient beaucoup de peine, à être dans leur bulle. Remarque, je leur ressemblais beaucoup sur certains points, mais ils étaient si… détestables !

« C’est en forgeant qu’on devient forgeron ». Honte à moi, je ne connaissais pas cette expression ! Je rosissais légèrement, embarrassé de constater que ce pauvre gars semblait plus cultivé que moi. Je n’aimais pas me sentir inférieur… c’était comme si je n’étais pas… intelligent. Cela devait être une expression connue, mais au vu de mes origines, il était surement normal que je ne la connaisse pas, ou qu’elle n’ait aucun équivalent japonais… je pouvais me vanter de ma maîtrise de l’anglais plutôt excellente, qui m’avait permis une intégration impeccable dans cette académie.

Arrêter ? Mais en plus, il était même prêt à arrêter de jouer ! Mais quel soumis, je n’ai jamais vu ça ! On aurait dit moi, lorsque j’étais vraiment petit… j’avais vraiment le même caractère ! Mais de puis que je suis… brisé, rien n’est pareil. Je ne sais plus ce que c’est que… la pitié. Je ne ressens rien quand j’entends ce pauvre garçon désolé et embarrassé. Je ne parviens plus à me mettre à sa place, et imaginer quels sentiments pourraient le tourmenter… Et je n parviendrais pas à m’excuser sincèrement, puisque je n’en voyais pas l’intérêt. Seules des excuses de façade, factices pourraient convenir…

« Non, continue. Il faut bien que tu t’entraînes. »

Dans cette pièce, je ne voyais que la tache orange du garçon, et c’était bien dommage. Impossible pour moi de déterminer les objets, c’était si dommage ! Il fallait que je trouve un siège, quelque chose pour m’asseoir. J’avançais prudemment, en tapotant le sol avec ma canne blanche fétiche, et je me sentis cogner contre quelque chose de gros et lourd. Une enceinte ? Il y avait très peu d’espace dans cette salle, hormis un espace vide au milieu, puis tous les instruments et appareils de musique s’entassaient un peu de partout. Je me sentais un peu comme dans le grenier.

« Tu pourrais me diriger vers une chaise ? Mon dos est douloureux, je ne peux pas rester debout. »

Je poussais un soupir puis je restais appuyé sur ma canne, les yeux levés vers le ciel, le dos droit comme un soldat. Je savais bien que ce genre de personne un peu fragile et avenante chercherait tout de suite à m’aider si j’exposais des problèmes touchant la santé, ou autre. En lui parlant de mon dos qui me faisait souffrir, je pouvais m’assurer qu’elle bondirait de son piano pour me chercher une chaise, c’en était sûr ! Je rêvais de m’affaler dans un bon fauteuil bien moelleux… mais ce n’était plus possible pour le moment.

" Non, continue. Il faut bien que tu t’entraînes."

J'avoue que ce n'était pas vraiment la réponse souhaitée, finalement. Enfin, une partie de moi me dit que c'est bien, que je vais pouvoir continuer de m'entraîner et avec un peu de chance, que je vais progresser. Mais en fait, j'ai pas envie de jouer devant quelqu'un moi. Genre, j'aimerai qu'il parte en fait. Je sais, c'est un peu moins gentil que ce que je lui disait tout à l'heure, mais c'est bien plus honnête. J'ai envie de continuer à jouer, mais pas avec un public, aussi petit soit il. Du coup, j'avoue qu'il me dérange. Mais bon, avec un peu de chance il va se passer de faire des commentaires et me laisser tranquille. Mais visiblement, ce n'est pas le cas. Je n'avais pas remarqué qu'il était muni d'une canne. Et bien il sembl vouloir me le faire comprendre, puisqu'il tape un peu partout autour de lui avec. Qu'est ce qu'il a sérieux ? Est ce qu'il essaie d'écraser une araignée ? Bon, peu importe. Je commence à me remettre en place en face du piano, mais j'ai à peine le temps de déverrouiller mon téléphone qu'il reprends déjà la parole :

Tu pourrais me diriger vers une chaise ? Mon dos est douloureux, je ne peux pas rester debout.

Roh ça va, il fais pas si sombre, on voit encore où sont les chaises ! Mais bon. Il doit avoir... Trop mal au dos pour se déplacer tout seul jusqu'à une chaise. En fait, le plus intelligent serait de lui apporter une chaise. Du coup, je me lève et je prend une chaise au hasard, puis je lui la donne.

"Tiens."

C'est carrément sec. Mais en fait, je sais pas quoi ajouter pour faire le mec gentil. J'avoue que je suis un poil... Frustré qu'un type se pointe comme ça, alors que je devais être tout seul, et qu'il commence à me demander des trucs... Bref. Je vais jusqu'à mon piano, je reprends mon téléphone et je retente l'exercice de rythme. J'échoue deux fois d'affilé, sur la même note. Puis, miracle, j'y arrive. Je souris, fier de moi. Enfin... Il en reste encore.... 5.

Je le voyais déjà se remettre face au piano et déplacer ses doigts sur quelque chose : peut-être sa partition ? Je l’avais interrompu d’une certaine manière, et pas de la meilleure des façons. Mais au fond de moi, cela m’importait peu, que je le dérange ou non. Tout ce qui importait, c’est qu’il me donnait une chaise, pour que je puisse m’asseoir. J’étais pressé de l’entendre jouer à nouveau ! Bien que j’aurais préféré tomber sur un mélomane doué, mais il fallait bien commencer à quelque part… j’ai toujours rêvé de faire du piano, je trouvais cela si… apaisant. Mais mes parents ne m’ont jamais aidé à réaliser ce rêve, alors avec le temps, j’ai fini par mettre une croix dessus.

« Tiens. »

Son ton avait été sec, voire carrément méchant comparé aux paroles précédents, où il s’était montré doux et presque amical… dommage, il me plaisait mieux avant, je ne saurais pourquoi. Peut-être parce que je réussissais plus facilement à être supérieur face aux personnes dotées d’un grand cœur ? Et même, ce changement soudain d’état me laissait perplexe… mais de quelle maison était-il, diable ? Un rubis, un émeraude, un saphir ? Peut-être pas un saphir, ces derniers n’étaient pas qualifiés par des changements soudain d’esprit, mais les deux autres maisons non plus, il me semble… le garçon prenait une chaise, et la déposais sèchement à mes pieds.

Doucement, le garçon se réinstallait à son piano, sans me dire un mot de plus. Eh bien, quelle froideur ! Je m’asseyais sur la chaise si gentiment offerte, puis j’écoutais d’une oreille distraite les mélodies du jeune garçon. Je le voyais tapoter ses mains sur quelque chose, était-ce sa partition ? J’avais pensé cela tout à l’heure, mais maintenant, je n’en étais plus sûr… son comportement ne s’assimilait pas à quelqu’un qui consultait une partition… je lui demanderais à l’occasion, puisque cela m’intriguait vraiment.

Le garçon commençait sa mélodie : ses doigts glissaient sur le piano avec une hésitation touchante. Il échoua deux fois, à la même note. Je me demandais ce qu’il se passait dans sa tête… est-ce qu’il se sentait mal, ou heureux d’avoir enfin réussi au bout de la troisième fois ? Est-ce que ma présence l’enchantait ou au contraire, était-ce moi la source de ses échecs ? Je me posais tant de questions, et j’avais tant envie de lui en poser. Quel était son nom ? Je me sentais curieux. Et je ne savais toujours pas à quelle maison il appartenait ! Et le plus grave, c’est que je ne reconnaissais absolument pas ce qu’il jouait… peut-être qu’il était trop mauvais pour me faire reconnaître quelque chose.

« Tu es plutôt mauvais… qu’est-ce que tu es en train de jouer ? Je ne reconnais pas. »

Je le regardais curieusement, visiblement interloqué. Il fallait vraiment que je le questionne sur son nom, ainsi que sur sa maison, mais pour le moment, je trouvais la musique bien plus intéressante. Je me demandais vraiment ce que c’était, j’étais sûr que je la connaissais.

En fait, je pense que l'exercice 1 était le plus compliqué. Genre, Une fois que t'arrive à faire un truc, après c'est plus simple, parce que tu sais que tu peux le faire. Du coup, quand je commence l'exercice 2, je vois déjà bien plus clairement ce qu'il faut faire. Je place mes doigts sur le piano, et j'arrive à peu près à jouer la mélodie, mais avec une fausse note et un petit problème de rythme. En fait, je prends trop de temps à atteindre les touches noires. Je refait la mélodie, e cette fois j'y arrive mieux, même si un léger problème de rythme persiste. Le problème, c'est que je ne suis pas assez confiant. Enfin, en fait j'en sais rien, mais c'est vrai que j'hésite avant d'appuyer sur chaque touche.

"Tu es plutôt mauvais… qu’est-ce que tu es en train de jouer ? Je ne reconnais pas."

Arg, il est vachement franc ce type. Il pourrait pas... Dire que c'est... Pas terrible ?  Bon remarque, s'il dit ça il a surement raison. Mais malgré sa remarque qui sonne méchante, il me regarde avec une étincelle de curiosité dans les yeux. D'ailleurs, de loin comme ça, je dirait qu'ils ont un truc. Mais quoi ? Enfin bref.  Mais du coup, je ne sais pas vraiment quoi lui répondre. En fait, les exercices se résument à des partitions, rien d'autres. Je sais pas où sont les sources. Je lui répond donc :

"Euh... En fait je sais pas vraiment ce que je joue, c'est simplement des exercices de piano. Aucune idée de si c'est tiré d'autres musique, mais j'avoue que moi non plus ça ne me dit rien..."

Il va me prendre pour un malade mentale en fait. Genre, une fois sur deux que je lui parle, je suis méchant, puis d'un coup je suis gentil comme un fleur. En vrai, je cherche à être gentil avec lui (je suis un clichés d'émeraude, bordel), mais le soucis c'est que je fais du piano en même temps, et que ça présence n'est pas voulu, et que je joue mal du piano et.... Et voilà, il y a plein de facteurs négatifs.

Après cette parenthèse sur mes problèmes mentaux, je continue à jouer du piano. Je retente l'exercice deux, que je réussi  cette fois sans faute. Je souris encore, rempli d'un sentiment d'accomplissement. Puis je me met à tenter l'exercice.  Et franchement, du premier coup, j'y arrive super bien. Il me manque encore du rythme pour arriver à la perfection ( ça à l'air incroyable comme ça, mais c'est juste une dizaine de notes hein.)

« Euh... En fait je sais pas vraiment ce que je joue, c'est simplement des exercices de piano. Aucune idée de si c'est tiré d'autres musique, mais j'avoue que moi non plus ça ne me dit rien... »

J’haussais simplement des épaules. Ce garçon à la voix plutôt fluette descendait plutôt rapidement dans mon estime. Alors il joue du piano sans savoir ce que c’est ? Et même si ce sont de simples exercices de piano… à mon sens, il est plus intéressant de jouer des mélodies déjà existantes, même en exercice ! C’est une sorte d’enrichissement personnel, musical. Peut-être ne se considérait-il pas assez doué pour jouer une vraie musique ? Il avait plutôt raison si c’était le cas, puisque je le considérais moi-même comme tel.

Le garçon laissait courir maladroitement ses doigts fins sur le clavier, esquissant un peu gauchement des petites notes de-ci de-là, et malgré cette maladresse tendre, j’éprouvais un peu de jalousie. Lui, il y arrivait… et moi, je ne pourrais pas ! Je me mordais la lèvre : j’avais envie de lui exploser la tête contre le piano : il se débrouillait avec une facilité plutôt impressionnante, alors qu’un peu avant, il avait plus de mal ! Remarquer un tel progrès chez autrui me donnait des frissons… si je me mettais au piano, serait-ce aussi simple pour moi ? Je ne crois pas. Bien que ma cécité ne rende pas la pratique du piano impossible, elle freinait excessivement son apprentissage, ça me désolait. Et si je voulais bénéficier de réels cours, je devrais y mettre le prix, mais je n’avais pas envie de progresser avec quelqu’un…

« J’aimerais en jouer, mais je ne peux pas le faire seul. »

Même si cela me répugnait de devoir être aidé par quelqu’un de presque mon âge, je n’avais pas le choix. J’avais devant moi un garçon qui voulait apprendre : nous étions presque pareils, sauf que j’étais vraiment moins con. Je me levais finalement de ma chaise, puis je la traînais maladroitement près du piano, puis je me rasseyais, cette fois nettement plus proche du clavier et du jeune musicien. Je ne voulais pas qu’il croie que son aide m’était indispensable, ni que je le suppliais de m’aider. Si il ne voulait pas m’aider, je ne ferais rien, et cette histoire s’arrêterait là. Mais j’éprouverais toujours des remords… ma mère savait jouer du piano.

Je me rappelle encore des weekends à la maison où, las du mauvais temps, nous nous enfermions au chaud au creux du foyer puis nous écoutions les délicieuses mélodies que produisaient ma mère. C’est sûrement de là que vient mon envie de jouer du piano… j’ai envie d’être doué à quelque chose.

« Je m’appelle Hideki, et toi ? »

Je posais mon regard aveugle et morbide sur lui. Je sentais une froide lumière, nous devions certainement être éclairés par la lune. Quelle entrevue des plus sordides ! Je n’aurais jamais pensé pouvoir faire une telle rencontre dans ces conditions ni, peut-être, entamer l’apprentissage du piano. Si ce maigrichon me donnait les bases, je pourrais surement me débrouiller. Mon frère serait si fier de moi si je savais bien jouer du piano ! Si seulement j’étais encore avec lui… je pourrais lui montrer l’étendue de mes capacités, et il m’applaudirait…

Je retente donc le troisième exercice, et cette fois mon problème de rythme es amoindri. Au troisième essai, je peux dire que j'ai fini cet exercice. Là, j'avoue que je suis plutôt fier de moi. J'y arrive de plus en plus facilement. Bon, l'exercice maintenant. Je m'atèle à le déchiffrer, histoire de pas commencer à jouer alors que je ne sais même pas où placer mes doigts. Mais je n'ai pas le temps de finir mon décryptage que mon interlocuteur annonce, comme si de rien était :

"J’aimerais en jouer, mais je ne peux pas le faire seul. "

Qu'est ce que ça peux bien vouloir dire ? Pourquoi il ne peux pas jouer du piano seul ? Il doit avoir un problème quelque part, mais où ? Enfin, ma question c'est pourquoi avoir quelqu'un à ses côtés l'aiderait à jouer du piano ? C'est peut être un problème de pouvoir, mais je vois vraiment pas comment le fait d'avoir un pouvoir ou pas peut déterminer le fait qu'il ne peut jouer du piano qu'en présence de quelqu'un... En plus je me perd moi même avec mes phrases bien trop longues.  Du coup, je devine qu'il veux jouer du piano et que je l'aide à en faire. Pour ça, il faudrait qu'il me dise quel est son problème. J'avoue être curieux.

Il décide de venir de lui même, et traîne sa chaise sur les quelques mètres qui nous séparent pour venir s’asseoir à côté de moi. Je le regarde, avec une étincelle de curiosité dans les yeux, en attendant qu'il ne me dévoile le fameux secret. Mais il semble que le secret à décidé de se déclarer lui même. En effet, son visage est maintenant éclairé par un rayon de lune, et dans une lueur pâle, je découvre ses traits fantomatiques. Il a un visage très tendu, comme s'il était méfiant, ou simplement perplexe, avec néanmoins quelques accentuations fines, mais brut au niveau de la bouche. D'autres traits fin viennent se glisser sur sa peau opale, mais malgré tout, il fais assez jeune. Le plus frappant chez lui, reste ses yeux. Deux grands lacs blafards et inquiétants, sans nuances, sans couleur, sans rien si ce n'est ce blanc morbide.

Pourtant, je ne les trouve pas repoussant, ses yeux. En fait, ils arrivent à me décrocher un sourire. Parce que je le sais maintenant, il est aveugle. C'est ça, le fameux secret, celui qui l'empêche de jouer du piano ou de se trouver une chaise. Si je souris, c'est parce qu'il me rappelle Œil de geai. Je me demande s'il... Bien sur que non, il est aveugle, il ne peut pas lire. DU coup, je me sens carrément coupable d'avoir été sec avec lui quand je lui ai donné la chaise. Par contre, j'ai retenu au moins une choses sur les aveugles dans la guerre des clans, il ne faut pas avoir pitié d'eux, ça les vexe. En fait, je fais du cas d’œil de geai une généralité, mais moi non plus si j'étais touché par un handicap je n'aimerait pas que tout le monde me voit comme une petite bête sans défense qu'il faut chouchouter. En plus, comme ce garçon à l'air d'avoir un sacré caractère, je ne pense pas faire un mauvais choix en passant outre sa cécité, en faisant comme si c'était quelqu'un de normal.

"Je m’appelle Hideki, et toi ?"

"Moi c'est Kupo. Du coup, tu veux que j'essaie de t'aider à jouer du piano ? Tu sais, j'ai débuté il y a même pas quelques jours, et  je ne sais pas enchaîner 10 notes sans faire de fautes, alors je doute franchement que je sois un bon professeur..."

Je relève la tête, croisant du regard ses yeux blancs. Je pourrais au moins essayer de lui expliquer la base....

"Bon... Comme le sais peut être, un piano c'est composé de plein de touches, blanches et noirs. Ensuite...
les touches vers la droite, c'est les aigus, et vers la gauche, c'est des graves."

J'accompagne mes explications en appuyant sur une touche aigu, puis sur une touche grave. Mes explications sont complètement confuses, je sais. Mais j'avoue que je ne savais pas trop par où commencer. Je m'attends à une remarque du genre " Tu crois que je sais pas ce que c'est un piano ?! ". Mais bref....

C'est super dur d'expliquer comment jouer du piano à un aveugle. Je sais pas vraiment comment je dois faire. Je pense que je vais commencer par du très basique, lui donner une mélodie toute simple, genre "Happy Birthday to you". Ouais, c'est une chanson à la fois super simple, à la fois assez compliqué pour qu'il ne pense pas que je le prenne pour un idiot fini.

« Comment veux-tu que je différencie les touches noires et blanches si tu ne me donnes que leurs couleurs et rien d’autre ? Idiot. »

J'allais le faire, mais c'est facile à dire ! Je fais quoi moi, je lui prend la main ? Hey, c'est pas une si mauvaise idée. Nan mais il va mal le prendre et le faire manger les touches. Mais ça serait quand même la façon la plus simple de lui expliquer.

« Je suis aveugle, au cas où tu ne l’aurais pas remarqué. »

EH BAH SI ! HAHAH. ALORS ?
Oui bon, je me calme. Il passe doucement sa main sur la piano, comme s'il pensait que s'il le touchait, il se briserait sous ses doigts osseux. Il distingue de lui même les touches noirs et les blanches, les relevés et les plates.  Il ne tarde pas à me poser la question :


« C’est une touche noire ? »

"Raté, les plates ce sont les touches blanches, et celles en relief sont les noirs. Bon, pour jouer du piano,
il faut connaître les notes, et savoir où elles sont placés. "

Comment lui expliquer... Même moi en pensée je sais pas comment j'y arriverais. Bon, quand il faut y aller...

"Donc... Les notes, c'est Do, ré, mi, fa, sol, la, si et do pour que la boucle soit bouclée.  Sur le piano,
c'est très simple, elles sont alignés. Là t'es sur la touche "sol". Vas y, remonte jusqu'à la touche do."

J'attends qu'il s’exécute, puis je reprendre mes explications :

"Comme tu es aveugle, il va falloir que tu te visualise les 8 touches toi même, avec les notes écrites dessus. Do, tout à gauche, puis ré, mi, fa, sol, la, si et le deuxième do. Ce sont des touches blanches, ont ne va pas faire attention aux touches noirs pour le moment."

Je lui laisse deux bonnes minutes pour qu'il se visualise correctement les touches dans la tête.

"C'est bon ? On va faire un petit exercice, je te dis une touche et tu dois appuyer dessus. Je te dirais si t'es bon ou pas. Prêt ? Première touche, fa !