Un trans peut en cacher un autre [PV Lawliet]

Le regard dans le vide, je fixe intensément le sol, me laissant emporter par un flot de pensée futiles et dénuées de sens. Je relève brusquement la tête et porte mon regard vers l'horloge sur le mur en face de moi, et découvre avec dépit qu'il ne me reste plus beaucoup de temps pour me préparer. Je m'empresse alors d'attraper d'un geste las ce qui est supposé être mon uniforme de travail et l'enfile rapidement. J'esquisse un léger sourire en repensant à mon supérieur qui, la veille, m'avait confié qu'il préférait que je porte l'uniforme féminin afin d'éviter de perturber les clients, chose que j'avais acceptée sans réellement m'en soucier. En réalité la seule chose qui m'importe est d'avoir un travail pour ne pas me retrouver dans la même situation que mes géniteurs, le reste n'est que futilité à mes yeux.
Je jette un dernier coup d'œil à mon miroir, mes cheveux sont correctement attachés, mon chemisier est convenablement boutonné et mes mitaines sont bien présentes sur mes deux mains, tout est en ordre.

J'ouvre doucement la porte de mon dortoir et sors étonnement rapidement de l'académie, puis me dirige vers ce qui sera mon lieu de travail pour un moment, du moins je l'espère. Les rues me semblent monotones mais habitées d'un certain je-ne-sais-quoi qui les rend attrayante, je me surprends à observer le paysage autour de moi alors que mon esprit est déjà ailleurs, loin de tout ce bruit et cette agitation citadine. Je pense à mon passé, mon futur et mon présent, tout s'entremêle dans ma tête et des souvenirs que je pensais oubliés refont surface. Je secoue la tête comme pour en éjecter toutes ces pensées malsaines et continue mon chemin. J'aperçois un petit café au loin, un petit sourire satisfait surplombe mon visage enfantin.

Je m'empresse de pousser avec excitation la porte d'entrée et regarde autour de moi comme un enfant le ferait en découvrant un nouvel endroit, les tables sont bien alignées et soignées, les couverts semblent méticuleusement lavés et une douce odeur émane des cuisines. Je remarque que quelques clients sont déjà arrivés, Je m'empresse alors d'attraper un calepin vide posé sur une table avant de chercher du regard une table non servie.

Soudain, je sens une main se poser sur mon épaule, je ne peux m'empêcher de lâcher un hoquet de surprise tout en me retournant, un sourire amusé sur le visage. Ce n'est rien d'autre qu'une autre serveuse qui est venue me donner des conseils, dont je me serais volontiers passé, et qui m'invite à aller prendre la commande d'une table du fond. Mon regard se porte machinalement vers la dite table, qui semble être occupée par une jeune fille aux magnifiques cheveux blonds, ce qui me rassure quelque peu. La chose qui me rassure est qu'elle est seule, j'ai toujours trouvé que, en groupe, l'humain pouvait faire des choses qu'il n'aurait jamais pu faire seul, parfois pour le meilleur mais souvent pour le pire.

Je prends une grande inspiration, lisse une dernière fois ma jupe et arbore un sourire chaleureux avant de m'approcher doucement de la table.

" - Bonjour, que désirez-vous ? "

C'était en ce doux matin du mois d'avril que j'avais décidé de faire une excursion en ville. J'avais choisi de faire un tour près du quartier touristique qui, comme son nom l’indique, devait être bondé bien qu’à cette époque de l’année, il y avait peu de voyageurs… j’espérais sincèrement de retrouver des élèves de l’Académie, pour peut-être avoir un brin de conversation avec eux. Malheureusement, depuis mon arrivée, je m’étais montrée très discrète et je savais que ma timidité était un frein à ma vie sociale.

Devant ma coiffeuse, dans ma petite chambre de l’académie, je coiffais mes longs cheveux blonds qui, comme à leur habitude, s’étaient retrouvé tout ébouriffés à cause de la nuit. Depuis toute petite, je ne cessais de me tortiller dans mon lit, et j’étais dans un sale état le matin… tout comme mon lit, d’ailleurs ! Je coiffais ma chevelure en deux couettes blondes tombant de chaque côté de mes épaules puis je me levais pour sélectionner dans ma garde-robe quels effets et quels vêtements je porterais aujourd’hui. Finalement, après une longue réflexion demandant des efforts pour une personne aussi soigneuse de son apparence que moi, je jetais mon dévolu sur un pull ample rose pastel que j’accompagnerais d’une jupe style écossaise. Cette jupe était plutôt courte, elle m’arrivait pas plus bas que la moitié de la cuisse, mais elle me plaisait et je me trouvais ravissante dedans. Avec cette tenue aussi simple que seyante, je mettais un ras-de-cou noir en soie orné d’une fausse perle.

Je retournais à ma coiffeuse, et m’inspectais une seconde fois, l’air hagard. Ô mon dieu, ces couettes étaient horribles ! Je poussais un soupir et décidais de les transformer en tresses collées. Une fois ce lourd travail fini, je ne pus m’empêcher de sourire face à la perfection de ma coiffure. Satisfaite, j’enfilais des chaussures style doc Martens avec des chaussettes montant un peu plus haut que les boots. Soucieuse, je m’appliquais du baume pour donner un aspect soigné à mes lèvres. Ma tenue n’était pas des plus féminines mais honnêtement, je m’en fichais, puisque je sortais.

Une fois à l’extérieur de l’Académie, je dirigeais mes pas vers la ville puis enfin, vers le quartier touristique. Je m’étais refusée de prendre le bus, pour découvrir un peu de paysage et voir du monde et ce choix eut raison de moi. À peine eu-je mis les pieds dans le quartier que je convoitais qu’un léger crachin se mit à tomber et bientôt, les fines gouttes humides se transformèrent en une véritable averse dont personne ne pouvait s’échapper. Autour de moi, je voyais des personnes ouvrir leurs parapluies, et, avant que la pluie ne souille mes tresses, je m’abritais dans un bâtiment que j’assimilais à un bar.

Timide, je regardais la salle et remarquais d’un air étonné qu’il y avait encore peu de clients. Je rougissais, honteuse à l’idée de m’être réfugiée dans ce bar mais finalement, après avoir vérifié que j’étais en mesure de m’acheter une boisson, je m’asseyais à une table vide. Pour tuer le temps, je sortais mon miroir de poche de la doublure de ma jupe : ce miroir était d’une simplicité élégante et sa couleur « vieux rose » était adorable ! Je vérifiais que mon maquillage n’avait pas bougé, que ms tresses ne s’étaient pas défaites, ou pire, formaient des bosses ! Doucement, je les ramenais devant mes épaules d’un simple geste de la main.

« Bonjour, que désirez-vous ? »

Je sursautais, et me tournais vers la serveuse : c’était une charmante jeune fille qui possédait une couleur de cheveux bien singulière mais qui lui seyait à merveille. J’accordais un œil émerveillé à ses mitaines : elles étaient très jolies ! Prise de court, je bafouillais en rosissant, intimidée.

« Je… j’aimerais un verre de Coke. »

" - Je… j’aimerais un verre de Coke "

J'acquiesçais d'un geste de la tête tout en m'empressant d'attraper mon petit calepin et de noter rapidement la commande. J'observais honteusement mon écriture maladroite et quasi illisible, signe typique d'une écriture masculine selon certains. Je jetais un dernier coup d'œil à la jeune fille et remarqua que ses joues avaient prises une légère couleur pourpre, était-elle gênée d'avoir eu à me parler ? J'en vins à me demander si je l'avais intimidée, c'est vrai que mon comportement frénétique pouvait en rebuter certains mais je consolais en finissant par en conclure qu'elle ne devait être qu'introvertie. Je hochais à nouveau la tête, approuvant ma propre supposition. J'ai toujours trouvé les personnes timides très mignonnes et leurs réactions lorsqu'on les taquinait étaient toujours très amusantes à observer.
Je fis un tour rapide sur moi-même, vérifiant qu'il n'y avait personne d'autre dont il fallait s'occuper, puis m'avança doucement mais promptement vers le comptoir, prêt à rechercher la boisson souhaitée.

Je m'apprêtais à poser ma main sur la poignée du frigo lorsqu'une nouvelle fois je me fis interrompre par cette insupportable serveuse. Je levais les yeux au ciel, sachant pertinemment qu'elle ne pouvait me voir, tout en écoutant distraitement ses paroles toutes aussi inutiles les unes que les autres, du moins à mes yeux. Elle s'en alla finalement, me laissant à nouveau seul. J'ouvris donc hâtivement le frigidaire, à la recherche de cette fameuse boisson gazeuse, me disant que j'aurai tout le temps de la blâmer gratuitement une fois rentré, je ne devais pas laisser mes sentiments empiéter sur mon travail.

Une fois la bouteille en main je cherchais du regard les verres, repensant soudain à ce que m'avait dit cette ignoble collègue, durant son monologue interminable elle m'avait en effet indiqué l'endroit où étaient disposés les verres, mais mon opinion sur elle n'avait toutefois pas changé. J'attrapais donc maladroitement un récipient dans la petite commode, faisant tinter au passage tout les autres verres créant bruit peu agréable, fermant machinalement les yeux en priant intérieurement pour que personne n'ait entendu.
Je commençais ensuite à verser la boisson sucrée dans le verre que j'avais choisi, il était plutôt banal, translucide et ayant comme unique motif le logo d'une marque quelconque. Mon regard violet observait avec attention les minuscules bulles de gaz qui remontaient une à une avant de finalement disparaître, je trouvais cela plaisant à regarder et j'aurais pu continuer encore plusieurs minutes si je ne m'étais pas rendu compte que je tenais depuis déjà quelques secondes la bouteille, à présent vide, en l'air. Je positionnai légèrement trop brusquement le verre sur mon plateau, ce qui fit tanguer son contenant qui resta néanmoins à l'intérieur.

Je retournais ensuite à la table du fond, je me sentais pousser des ailes et pour cause, je n'avais toujours rien cassé ! Mais je ne m'inquiétais pas tant que ça, à la moindre erreur je pourrai rattraper le tir grâce à mon pouvoir. Malheureusement j'étais beaucoup trop confiant et mon sourire s'effaça immédiatement dès que je vis le verre bien rempli tomber sur la table, y déversant tout son contenu.
Je sortis hâtivement un chiffon de ma poche et me mit a essuyer grossièrement la table.

" - Désolé, j'ai toujours été très maladroit ! "

J'espérais que mes excuses seraient suffisantes. Une fois ma bêtise essuyée je tournai à nouveau la tête vers la cliente et remarqua alors avec horreur que son haut pourtant si joli, était taché. Je fixai la tâche un instant, réfléchissant mentalement aux conséquences que cela pourrait avoir sur mon travail avant de revenir à la réalité.

" - Ton haut est taché ! Je vais te montrer où sont les toilettes ! "

Dans la panique je m'étais mit a la tutoyer mais il était trop tard pour corriger ma phrase, puis après tout était-ce si grave que cela ? Elle semblait avoir environ mon âge. Je toussais légèrement, ma gorge n'avait pas apprécié que j'hausse autant la voix et me le faisait sentir. Je lui montrais ensuite la direction des toilettes, l'invitant à me suivre, tout en m'excusant une seconde fois et espérant que ce ne la fasse pas fuir.

HRP:

Je souriais, alors qu’une petite joie éclatait dans mon cœur comme un feu d’artifice à la vue du verre de Coke bien rempli. Je reportais mon regard vers la jeune serveuse, qui semblait très enthousiaste. C’est avec un étonnement un peu éhonté que je remarquais qu’elle avait à peu près mon âge : peut-être devrais-je moi aussi, me mettre à travailler… qui sait ce que je pourrais m’acheter avec un salaire de serveur, ou d’autre chose ! Des nouveaux vêtements, des chaussures, des accessoires, du maquillage… mon but ultime serait de me prendre un appartement en ville, dès que ‘j’aurais la possibilité de vivre seule : même si j’avais la chance d’avoir une chambre individuelle, la vie communautaire de l’Académie ne me plaisait pas.

Alors que je voyais mon verre de Coke arriver, la suite me semblait digne d’un cauchemar : l’étourdie petite serveuse renversa tout le verre sur la table : sur ma table ! Je sursautais et poussais un cri aigüe lorsque je sentis un liquide froid m’éclabousser la poitrine et coller mes vêtements à ma peau. Je gémissais : Ô mon dieu, quel sentiment horrible ! Je décochais un regard plein de reproches à la serveuse, mais je me ressaisissais, consciente que ce n’était probablement pas de sa faute et qu’elle ne l’avait pas fait exprès.

« Désolé, j'ai toujours été très maladroit ! »

J’allais la rassurer et lui dire que je ne trouvais pas ça très grave, mais un détail plutôt anodin attira mon attention : « maladroit » ? S’était-elle trompée et, dans la panique, avait-elle parlée d’elle-même au masculin ? Je ne savais que penser de cette faute, mais, rationnelle, je préfère mettre ça sur le coup de la panique même si l’éventualité de croiser une personne que moi me faisait plutôt sourire.

« Ne... ne vous inquiétez pas. »

Malgré cela, j’étais plutôt rassurée que cette serveuse m’accompagne aux toilettes : de nature timide, je ne savais pas vraiment comment réagir dans ce genre de situation et si nous avions été au sein de l’Académie, j’aurais volontiers usé de mon pouvoir pour sortir de ce bar et disparaître de la mémoire de la jeune fille. Malheureusement, je ne savais toujours pas si nous pouvions utiliser notre pouvoir en dehors de l’école, alors dans le doute je décidais de ne rien faire.
Arrivée dans les toilettes, je regardais la serveuse, l’air stupéfait.

Pouvais-je lui demander de l’aide, était-ce humainement possible ? Je veux dire, est-ce qu’elle ne me prendrait pas pour une folle, ou pour une attardée mentale, ou, pire, pouvait-elle penser que je tentais de la draguer ? Ô mon dieu, tout sauf ça ! Avais-je mis une brassière ce matin ? Si je n’en portais pas, elle allait se poser des questions ! Je restais stoïque, incapable de faire le moindre geste. Je la laisserais me guider.

Alors que j'avais laissé la porte entre-ouverte comme pour m'assurer que la jeune fille était bien en train de se nettoyer, je remarquai qu'elle me me dévisageais, complètement stoïque. Avais-je quelque chose sur le visage ? Dans le doute je passais une main dans ma longue chevelure et touchais grossièrement mes vêtements, m'assurant que tout était en ordre, mon chemisier était blanc immaculé et je souhaitais qu'il le reste.
Puis mon regard se porta à nouveau vers elle, la pauvre semblait complètement déboussolée ou... gênée ? Je haussais les épaules tout en me risquant à pénétrer dans la pièce, je ne savais pas si j'en avais le droit mais ma présence ici était justifiée alors cela ne devait pas poser de problème.


" - Hum... besoin d'aide ? "

Perplexe mais un sourire amusé sur le visage j'attrapais maladroitement un morceau de papier et le passais légèrement sous l'eau tiède, me retournant ensuite vers mon interlocutrice. Je me demandais bien pourquoi elle était restée immobile, j'en vins presque a penser qu'elle attendait une quelconque réaction de ma part, est-ce que les serveurs britanniques étaient censés nettoyer les vêtements des clients lorsqu'un tel incident avait lieu ? Je ne pense pas, mais je lui laissais le bénéfice du doute, de toute façon il fallait impérativement que je retourne rapidement travailler.

" - Je suppose que c'est ce que tu attendais de moi ? Je ne suis pas d'ici alors je ne sais pas si c'est quelque chose que les serveurs sont censé faire ou un truc du genre- mais on va dire que je te devais bien ça"

Je m'étais approché doucement et ne me trouvais plus qu'à quelques centimètres désormais. Je pliais légèrement les jambes, m'abaissant au niveau de la tâche et attrapais alors la parcelle de tissu humide et la tirais légèrement vers moi commençant à faire de petits mouvements circulaires sur la tâche. Je relevais soudainement la tête et pouvais alors observer plus attentivement son visage, ses traits étaient fins et l'ensemble plutôt harmonieux mais ses yeux étaient particulièrement surprenants, je n'en avais jamais vu de semblables. Ils étaient a la fois ocres et violets, ce mélange de couleur pouvait sembler surprenant, pourtant sur ses yeux il rendait magnifiquement bien.

" - Tu as de beau yeux "

Cela pouvait sonner comme une phrase d'accroche, pourtant le ton calme que j'avais pris n'en donnait pas la moindre impression, faisant sonner ma phrase juste comme un compliment désintéressé et sans arrière pensées, ce que c'était. Mon attention se reportai sur la tâche, je n'étais absolument plus dérangé par la situation, j'avais tellement l'habitude de m'occuper d'enfants que je m'étais mit a l'œuvre machinalement, en ayant arreté de me poser de questions. Je laissais échapper un petit rire, me rendant compte que je venais mentalement de la comparer à une jeune enfant qui serait incapable de subvenir à ses besoins elle-même, mais celui-ci se fini rapidement en quelques légers toussotements.

" - Et voilà ! Si tu n'avais rien fait la tâche aurait séchée, puis, c'est mon premier jour en tant que serveur aujourd'hui..."

Je me dandinais légèrement sur place, je n'aimais pas spécialement donner l'impression de vouloir être gracié, mais j'espérais tout de même qu'elle prendrait cette information en considération.
J'avais fait plusieurs pauses de quelques secondes durant ma phrase, soucieux de ne pas gâcher trop vite ma voix, je n'arrivais toujours pas à croire qu'à cause d'eux je doive constamment préserver ma voix pour éviter de me retrouver momentanément muet. De plus avoir ce problème durant mes heures de travail serait un vrai problème, surtout après les bêtises que je venais de faire, je me devais d'être discret à partie de maintenant. J'espérais que la cliente allait pardonner mon erreur et ne dise rien à propos de ça, mon patron n'apprécierait sûrement pas que l'on perde un client par ma faute. Parce que malgré tout je tenais à ce travail, sachant à quel point le manque d'argent pouvait être meurtrier.

Alors que je me relevais et m'apprêtais à jeter le papier désormais effrité, je remarquais que la tâche n'était pas complètement partie, je m'avançais alors brusquement et maladroitement pour lui tendre de quoi peaufiner le nettoyage, brisant à nouveau la distance entre nous.

Toujours en conservant cet air ébahi et légèrement éberlué, je regardais la jeune serveuse passer un bout de papier sous l’eau, puis se rapprocher de moi. Mon visage vira au rouge pivoine lorsqu’elle commença à frotter doucement la tâche, tout en tirant sur mon pull. Légèrement intimidée, et peu enjouée à l’idée de savoir que mon espace personnel venait d’être pénétré si facilement, je fermais les yeux, serrant les paupières. Ô mon dieu, j’aimerais disparaître sous terre. Finalement, je les rouvrais pour regarder ce que faisait la maladroite serveuse : ne manquait plus qu’elle rate encore son opération-nettoyage !

« Tu as de beaux yeux. »

Je poussais un hoquet de surprise, et je crus bien que mon visage se transformait en une immense tomate. Non, je me méprenais ! Je regardais autour de moi, pour échapper à son regard, et guettais quelqu’un qui entrerait dans les toilettes, et qui pourrait me sauver de cette horrible situation. Quelqu’un, à l’aide ! Je suffoquais, et lorsque la serveuse finit son travail, je la repoussais doucement, et la remerciais. Elle m’avait un peu effrayée. Et surtout, je n’aimais pas les femmes, moi ! Ou peut-être que je me trompais depuis le début, peut-être était-ce un compliment tout à fait désintéressé… à l’aide !

« Et voilà ! Si tu n'avais rien fait la tâche aurait séchée, puis, c'est mon premier jour en tant que serveur aujourd'hui... »

Serveur !? Encore ? Et pourtant, j’étais prête à mettre ma main à couper qu’elle n’était pas en état de panique intense, et qu’elle ne pouvait pas confondre le masculin et le féminin. Serveur… maladroit… je voulais lui poser une question, une question indiscrète, si indiscrète que je n’osais pas. Qu’est-ce que cachait son jupon ? Était-ce un homme finalement ? Était-elle… Était-il ? Était-il comme moi ? Est-ce que, elle aussi, elle était née dans le mauvais corps ? Était-ce un homme se sentant femme ? Un frisson d’excitation me parcourut l’échine. Lorsqu’il se rapprochait de moi afin de me donner le reste de papier, je le saisissais d’une main virulente et demandais, légèrement hésitante.

« Depuis tout à l’heure, j’ai remarqué que vous parliez de vous au masculin, or, vous ressemblez à… une femme. Désolée de poser une question aussi indiscrète, mais êtres-vous un homme ou une femme ? »

Je rougissais violemment, et reculais, baissant les yeux.

« Excusez-moi, vraiment… je ne veux pas être indiscrète, ou vous vexer, mais ça m’intrigue… »

Alors que je m'apprêtais à sortir des toilettes et retourner travailler quand la jeune pris à nouveau la parole, me posant une question que j'ai déjà entendue des milliers de fois mais qui avait tout de même réussi à me surprendre.
Je me remettais en face de mon interlocutrice tout en jouant nerveusement avec mes cheveux, les entortillants autour de mon doigt ou passant une main à l'intérieur de ma longue chevelure.

« Depuis tout à l’heure, j’ai remarqué que vous parliez de vous au masculin, or, vous ressemblez à… une femme. Désolée de poser une question aussi indiscrète, mais êtes-vous un homme ou une femme ? »

J'affichais une mine légèrement contrariée, pourquoi diable pensaient-ils tous ça ? Je n'arrivais pas à comprendre leur raisonnement et cela m'énervait quelque peu. Comment pouvait on déterminer le genre d'une personne en ne se basant qu'uniquement sur son physique, ça n'avait pas de sens. Je n'avais jamais eu l'impression de m'habiller comme une femme, je ne portais que des vêtements qui me plaisait, et pourtant j'avais arrêté de compter le nombre de fois où l'on c'était adressé à moi au féminin. Toutefois mon sourire revint rapidement, au moins elle avait eu la décence de ne pas faire de conclusion de hâtive et de me poser la question. Elle était également visiblement très gênée de me poser cette question, son visage avait à nouveau tourné au rouge pivoine, j'esquissais un petit sourire amusé.

" - Je suis un garçon ! "

Je me retournais soudainement suite à mes paroles, vérifiant que personne n'était entré ou n'avait pu entendre, je ne pouvais oublier que je me trouvais bel et bien dans les toilettes des femmes. Puis je pivotais à nouveau vers la jeune fille, bien décidé à lui retourner la question,

" - Et toi ? "

Spoiler:

« Je suis un garçon ! »

Je poussais un hoquet de surprise, et reculais, trébuchant presque, m’accrochant aux lavabos. Un… un garçon… ? Je pointais mon doigt tremblant vers cet étrange serveur, et, ma bouche déchirée en un rictus, poussais un petit gémissement entrecoupé d’halètements paniqués. Un garçon. Un garçon. Elle était un garçon. Une serveur, un serveuse. Ô mon dieu, j’étais perdue. Je respirais un bon coup, pour tenter de me calmer. Je devais l’effrayer, ou peut-être la vexer. Quelqu’un comme moi. Elle était quelqu’un de « mon clan ».

Elle aussi était une fille, née dans le mauvais corps : dans le corps d’un garçon. Après la panique vint la joie. Il suffisait que je lève le secret de ma propre identité, et peut-être que nous deux pourrions être des amies, de grandes amies… mais si jamais elle m’avait mentie ? Peut-être qu’elle se payait juste ma tête. Je n’en savais rien. Est-ce que ma tête lui revenait ? Je baissais les yeux vers mes pieds. Lorsqu’elle me posa la question sur mon identité, je me mis à rougir et je dis d’une petite voix.

« Je suis un garçon aussi. »

Aussitôt ses mots furent sortis de ma bouche que je paniquais. Je portais mes mains à mon visage et me cachais les yeux. Des souvenirs remontèrent en mémoire, éclatèrent dans mon cerveau comme des bulles, dépassant le mur du son. Leurs propos, leurs insultes, mes pleurs résonnaient dans ma tête : harcelée. Humiliée. Deux larmes perlèrent au coin de mes yeux, mais je les séchais rapidement, consciente et honteuse de m’être autant relâchée face à la serveuse. J’avais peur que cet aveu ne devienne plus important que ce que je pouvais penser.

« Excuse-moi… »

Je n’aurais pas dû. Je n’aurais pas dû.

Elle semblait... choquée. Elle se reculait brusquement en titubant et alla s'appuyer contre le lavabo tout en me pointant honteusement du doigt. Aussitôt je commençais à regretter mes paroles, allait-elle m'insulter ou même pire, me frapper ? Cette fois je n'avais personne à mes côtés pour m'aider à supporter le poids des discriminations, est ce que je tiendrai le coup ? Même si je pensais être quelqu'un de fort je ne savais comment je réagirais dans de telles circonstances. Mais je m'efforçais à sourire tout en fronçant malgré moi les sourcils, une incompréhension des plus totale pouvait se lire sur mon visage.
Elle décida finalement de rompre la tension ambiante dans laquelle baignait la pièce depuis plusieurs interminables secondes.

" - Je suis un garçon aussi "

Mon coeur rata un battement, je n'arrivais pas à croire ce que je venais d'entendre. Elle, il était un garçon aussi ? J'avais perdu espoir, pensant que je pourrais jamais rencontrer quelqu'un comme moi. Là où j'habitais tout portait à croire que j'étais quelqu'un à part, de bizarre, hors norme. Mais il me suffisait d'emménager ailleurs pour découvrir que je n'étais pas seul. Un sourire commençait à naître sur mon visage mais avant que je ne puisse dire quoi que ce soit je remarquais que mon interlocutrice, mon interlocuteur, s'essuyait les yeux. Venait-elle de pleurer ?
Peut-être qu'avouer ce genre de chose n'était pas facile pour tout le monde ou bien qui sait ce qu'elle a vécu dans le passé à cause de cette différence.

" - Excuse-moi..."

Je me sentais désolé pour elle, pourquoi avait-elle tout à coup pleuré ? Il ne fallait pas avoir honte ou être triste de dire qui nous sommes.

" - Ce n'est rien "

Je ne voulais pas qu'elle reste dans cet état. Je devais impérativement trouver quelque chose à dire pour lui changer les idées. Tout portait à la joie, elle ne pouvait, elle ne devait pas être triste !

" - Ça me fait bizarre aussi, je n'avais jamais rencontré quelqu'un comme moi auparavant ! "

Avais-je tenté, en espérant lui remontrer le moral, un petit sourire en coin.
Mon coeur était empli d'une excitation nouvelle, je voulais tout savoir de cette nouvelle personne, elle était devenue mon nouveau centre d'intérêt. Je mourrais d'envie de lui poser toutes sortes de questions mais je devais me retenir, je risquerais de l'inquiéter ou de lui faire peur. Je ne devais pas prendre le risque de faire peur à une potentielle nouvelle amie. Je commençais par une question simple, basique, que je m'étonnais même de ne pas avoir posée avant.

" - Je m'appelle Eden, et toi ? "