Sally mal-aimée

Toute l’histoire débute en Espagne, dans la dernière demeure des Whispers à se trouver encore là-bas, en 2002. Elena Whispers s’était installée dans la petite maison avec sa sœur Shirley  pour parfaire son espagnol. En effet, Ricardo Blanco de la Torre, son fiancé, avait encore beaucoup de mal avec l’anglais et ne résidait en Angleterre que pour son travail à l’ambassade. Enceinte de lui, la jeune femme tenait à accoucher dans le pays natal de son amant avant de rentrer à Londre avec son bébé.

C’est ça que ma maman me répétait presque tous les jours depuis ma naissance, avant de me dire que je suis le portrait craché de mon père. Elle est morte quand j’ai eu douze ans, pendue. Sur la lettre, elle avait écrit « son visage dans tes yeux me hante, je dois le rejoindre », voilà comment je me suis retrouvée à vivre avec tante Shirley, à Chatham. Mon père a été assassiné alors que je n’avais que quelques jours, alors que je n’étais pas encore arrivée chez moi… C’est ce que je suis au fond… Je suis la petite métisse qui, malgré ses zéro pourcent de ressemblance avec son père, a réussis à trop lui ressembler pour que sa mère ne puisse le supporter… Tu te demandes pourquoi ? C’est simple… Trop simple… Je suis spéciale, et ce, depuis toujours. Je viens d’une famille de gens « particuliers ».

Ma maman n’a aucun don, sinon celui d’avoir détruit mon enfance. Ma tante, elle, peut changer les cahiers en des recueils infinis connectés à la mémoire de la personne de son choix, un cahier comme toi. Mon oncle, lui, peut voir la nuit. Ma cousine Léa peut savoir ce que l’on désire le plus, dans l’instant. Mais le mieux, c’est mon cousin, Roydon, parce que son pouvoir est de n’être affecté par aucun autre, sauf s'il s'agit de quelqu'un de plus puissant que lui. Il est mon meilleur ami et mon confident, et c’est le meilleur cousin du monde ! Ça fait deux ans à peine qu’on vit ensemble et il m’a réapprit à sourire, à faire attention à moi, à regarder les gens dans les yeux. Je ne veux jamais qu’il disparaisse !



Coucou mon petit carnet ! Je ne me suis pas tellement confiée hier, à part sur mon passé… Tu savais que c’est Roy’ qui a conseillé à tatie de t’offrir ? Et ouais ! J’aimerais avoir eu l’idée plus tôt, mais j’étais trop occupée à mettre les mêmes vêtements que papa pour prendre maman dans mes bras ou à me ressasser ce souvenir. Bref. J’ai reçu une lettre ce matin provenant de l’académie Tsuki. Ils savent que je suis différente –la scolarisation à la maison et le suicide de maman ont dû jouer- et disent qu’ils peuvent m’aider, mais Roy’ ne l’a pas eu. Je me demande ce que je vais en faire… Je vais sûrement décliner leur offre, après tout, rester avec mon cousin est tout ce qui me plaît en ce moment… Je me demande à quel mémoire tu es connecté… Peut-être que ça doit être un secret, après tout, peut-être que dois être suivie par un genre de psy… Je ne sais pas… Bref. Je vais réviser la géographie, à tout à l’heure !



Le soleil est magnifique ! Je ne me suis jamais sentie aussi bien que dans ce parc ! Quand il me fixe comme ça, j’ai l’impression que personne ne me regarde à part lui. Au fond, c’est vrai… Ce n’est pas moi qu’ils regardent, c’est la personne à qui je me substitue pour eux. Je me couchais sur son épaule, un peu lasse. La nappe à carreaux était encore encombrée de beaucoup de nourriture, mais je ne pense pas qu’on mangera tout. Je ferme un instant les yeux. Soudain, Roydon se lève et me tends la main. Son sourire a l’air d’avoir été arraché au visage d’un ange. J’enroule mes doigts autour de son poignet et il me soulève. Quand je semble stable, il rassemble les affaires du pic nique et on commence à se balader. Le vent chatouille mes joues, tandis que les rayons chaleureux du soleil picotent doucettement ma peau trop anglaise. Le gravier craque sous nos poids conjugués, et les arbres nous chantent des ariettes merveilleuses, tandis que le vert, l’azur et le cyan recouvrent tout mon champ de vision.



Je tourne mon regard vers lui, tandis qu’il regarde ailleurs. Son visage était terni par un air préoccupé, et il semblait un peu plus pâle que d’habitude. Soudain, un étrange sentiment mordit mon estomac, comme si mon rêve allait se terminer.



Je m’arrêtais nette. Pourquoi l’avoir caché ? Je lui faisais tellement confiance. Il fit deux pas avant de se tourner vers moi, l’air tellement désolé. Je laissais tomber ma pochette, et mon téléphone s’échappa dans l’herbe à côté de nous, devenant un petit zèbre fantastique. Mes yeux s’emplissait de larmes, tandis que tout ce que j’avais pu écrire me sautait au visage. J’y ai écrit mes sentiments pour lui. J’y ai écrit mes problèmes de jeunes filles et tout un tas de choses intimes. Soudain, je sentis que quelque chose se déchirait, mais, en même temps, c’est comme si je lâchais en arrière un énorme sac de voyage, comme le jour où je suis arrivé.



Son regard visait une petite pâquerette perdue dans la verdure, le mien visait le bout du jupon de ma robe. Comment ? Pourquoi ? Je me mise à trembler. La seule personne qui pouvait me voir a abusé de sa capacité à m’atteindre. Il est rentré dans mon cœur. Je ne sais pas quoi faire. J’ai mal, très mal, mais je crois que je suis heureuse… Là-dedans, il y avait les seuls choses que je n’osais pas lui dire, de peur qu’il parte. Il est toujours là. Je dois comprendre. La voix tremblante et les larmes aux yeux, je demande comme dans un sanglot :



C’est là qu’il rit tristement avant de me prendre la main. Je ne peux m’empêcher de ramener mon attention à ses yeux larmoyant. Il pleure. Je l’ai fait pleurer. Sa voix n’était qu’un souffle faible et enrayé, effacé par le vent sifflant dans les feuilles. Elle semblait fragile et fugace mais parvint à me fendre la poitrine. Il me rattrapa alors que je m’effondrais en arrière. Ces mots doivent être des mensonges. Le contraire serait la chose la plus horrible du monde.