Élocution, échange et blocages [PV Annushka]

Il n’était pas si longtemps que cela, j’avais rencontré Toko, une Saphir qui était venue m’aborder parce que j’étais seule et qu’il lui avait paru que j’avais comme besoin d’aide. Prétendre le contraire aurait été mentir, mais crainte des inconnus, d’être noyée dans la foule qui se s’apercevrait même pas de ma disparition ou qu’un inconnu puisse m’enlever comme l’avait fait mon père, je n’avais définitivement pas été à l’aise pendant au moins une partie de cette rencontre et je l’étais encore moins à l’idée de rencontrer un professeur que je ne connaissais pas. Ma camarade avait insisté pour que j’aille parler à cette personne qui enseignait le théâtre, prétendant que ses conseils étaient d’or et que ce serait bien que j’en profite.

Tout le reste de la journée et une partie de la nuit, j’avais repensé à cela sans savoir par quel bout le prendre. J’avais peur avant même de rencontrer cette personne. Demander des conseils signifiait, encore une fois, de raconter mon passé et j’allais peut-être même révéler ce que je n’avais pas encore dit à ma meilleure amie ou autre personne. Est-ce que je m’en sentais capable ? Clairement, non. Pas du tout. Pourtant, le lendemain, alors que les cours de la matinée se terminaient, je décidai de tenter le coup.

Ce qui m’avait fait changer d’avis c’était le souvenir de la raison pour laquelle Archie m’avait sauvée, comment il était parvenu à me faire parler sans me forcer. Je doutais que cette fois ce soit aussi simple, mais, pendant un instant, je m’étais dit : « Pourquoi pas tenter ? Après tout, je n’ai rien à perdre. ». J’avais donc pris mes affaires de cours, gardant toujours contre moi ma pochette de dessins comme point d’ancrage et outil de défense, et avais commencé à chercher la salle dans laquelle le professeur de théâtre enseignait. Pour cela, j’avais dû faire fi de la foule dans les couloirs qui se précipitait pour aller manger, baissant la tête pour voir essentiellement mes pieds. Et lorsque je trouvai, j’eue la chance de constater qu’elle n’était pas encore partie. Peut-être parlait-elle é des élèves ? Attendant derrière le mur, juste à côté de la porte (laissant ma jupe dépasser sans m’en rendre compte), je tentai de me donner du courage puisque celui qui m’avait amenée jusque-là s’était comme évaporé. D’un certain côté, j’espérais qu’elle ne m’avait pas vue et que je pourrais m’en aller pour revenir le jour où je serais plus à l’aise, d’un autre je me sentais faible de ne pas faire confiance à une personne de l’académie.

A l’intérieur de la pièce, j’entendais des pas raisonner dans la pièce. Ceux-là n’avaient rien de menaçant puisqu’ils ne s’approchaient pas de moi en général. Bien au contraire, ils semblaient par moment s’éloigner. Mais cela ne dura pas longtemps. Comme si elle s’était stoppée plus loin dans la pièce, la personne encore présente, que j’imaginais être le professeur dont on m’avait parlé, s’approcha de l’endroit où j’étais. Puis, à quelques mètres de là, elle s’arrêta à nouveau et demanda gentiment :

- Bonjour, souhaites-tu entrer ?

Intimidée, non pas par elle, mais par la situation, je m’arrêtai de respirer un instant en serrant contre moi ma pochette en carton. Puis, me décrispant un peu, je réalisai que si je partais sur le coup je ne ferais pas ce pas en avant que j’avais décidé de réaliser en venant jusque-là. Puis, si je faisais demi-tour, à quoi aurait-il servit que je vienne jusqu’ici ? Pourquoi aurais-je bravé mes peurs pendant un temps ?
Tentant ainsi de me convaincre de ne pas prendre mes jambes à mon cou juste parce qu’on m’avait parlé, je me décollai du mur afin de faire face à mon interlocutrice. Cette dernière était très jolie avec ses cheveux blond pâle attachés en une jolie tresse, sa peau pale et ses yeux bleus donnant une touche de couleur agréable à sa silhouette. En plus de cela, je pouvais sans soucis dire qu’elle avait un joli sourire. Si seulement j’étais encore capable d’en faire autant… Malheureusement, c’est le regard fuyant et avec une attitude fermée que je prononçai doucement :

- Je ne voudrais pas vous déranger…

Je me souvenais que Toko m’avait dit être perdue, elle aussi, quand elle était allée voir cette dame. Est-ce que la ressemblance était si forte ? Pour une raison ou une autre j’en doutais un peu. Pourtant, j’avais ce léger espoir d’être aidée.

En passant brièvement mon regard sur le professeur, je me rends compte qu’elle n’émet aucun signe visible d’agacement. Au contraire, elle me sourit avec chaleur, surtout quand je lui fais part de mon intention de ne pas déranger. Elle me répond dans le même état d’esprit :

- Dans ce cas, rassure-toi, tu ne me déranges pas du tout.

Pour une raison que j’ignorais ou que je voulais inconsciemment ignorer, je n’en crus pas un mot. Comment aurais-je pu ne pas déranger ? Archie le disait toujours, mais il était bien des moments où il était occupé ou pas en mesure de m’aider, n’est-ce pas ? Et celui que j’avais cru être mon père, si je ne le dérangeais pas, pourquoi m’aurait-il traitée de la sorte. Concernant mon interlocutrice, n’avait-elle pas envie d’aller manger ? Dans ce cas, pourquoi cherchait-elle tant à être gentille ?
A force de penser ainsi, je me rendis compte que mes propos étaient vraiment mauvais. Certains n’avaient aucun rapport avec d’autres et je ne prenais même pas en compte que d’autres que moi pouvaient user de l’empathie. Qui étais-je pour juger qui que ce soit ? Non, je n’en avais pas le droit. Alors, je laissais la jeune femme me désigner deux chaises en me faisant une proposition au lieu de partir :

- Avant toute chose, souhaiterais-tu t'asseoir ? Ce sera sans doute plus confortable que de rester debout, si tu crois que cela va prendre plus de quelques minutes.

- Je ne sais pas, murmurai-je doucement sans cacher à quel point j’étais perdue. Je ne sais pas si vous pourrez même m’aider. Je n’arrive pas vraiment à comprendre pourquoi on m’a conseillé de venir vous voir…

Mais si elle venait à m’inviter plus explicitement à m’asseoir avec elle, certainement que je le ferais. Ce n’était pas certain que je n’aie pas d’hésitation, mais je me rappellerais que je voulais avancer, me défaire de mes chaînes.

Quand le professeur me répondit, sa surprise me frappa sans pour autant me surprendre. Malheureusement, je ne compris pas la raison réelle de tout ça. Je n’y réfléchis pas non plus à vrai dire. Debout au milieu de la salle de classe, à côté de cette dame, je n’étais pas à l’aise du tout. Si seulement la communication n’était pas si compliquée… Si seulement je pouvais vaincre mes peurs en claquant des doigts. Ce serait tellement pratique, mais, à moins de posséder un pouvoir qui le permette, ce n’était pas possible au fond. Puis, sans peur y aurait-il la notion de courage ? Où avais-je lu ça déjà ?

- Dis-moi, comment t'appelles-tu et pour quelle raison viens-tu exactement ? C'est seulement en le sachant que je pourrai voir si je suis en mesure de te venir en aide ou non.

Baissant la tête pour regarder mes pieds, je me pinçai les lèvres dans un mouvement de réflexion. Pourquoi étais-je là ? Est-ce que les questions allaient encore une fois atteindre mon passé ? Si tel était le cas, je doutais pouvoir rester jusqu’au bout. Je me sentais tellement impuissante face à cela, mais aussi tellement chagrinée de ne pas être assez forte pour ne pas réussir à passer le cap seule, que j’en venais à me demander si je méritais vraiment de l’aide supplémentaire. Après tout Mana, Gwendoline, Archie, Narok, Noa, Yasushi, Tori… toutes ces personnes m’avaient apporté un certain soutien dans ma détresse. Pourquoi, dans ce cas, n’allais-je pas mieux ?

- Au fait, pardonne-moi, même si on t'a déjà parlé de moi, ce n'est pas une raison pour négliger ma présentation. Annushka Yaroshevskaya, mais tu peux simplement m'appeler Anna et surtout, tu peux me tutoyer.

Elle me fit alors signe que c’était mon tour de me présenter, ce qui me laissa encore pas mal d’hésitations que j’eue du mal à faire taire. Une des raisons à cela était que je ne me sentais pas de tutoyer ce professeur, autorisation ou non. Je ne la connaissais pas et il était déjà pas mal que je parvienne à parler devant elle. C’est donc après une ou deux minutes que je parvins enfin à trouver la force nécessaire pour tenter de répondre à ses interrogations sans la regarder dans les yeux :

- Je… je m’appelle Yumiko, de la maison Saphir. Je… Toko, qui est dans la même maison que moi, m’a dit que vous pourriez m’aider à… à retrouver de la confiance en moi. Enfin, je ne suis pas vraiment sûre que ce soit ça…

Anxieuse de ce que mon interlocutrice allait penser de moi et mes paroles, je fis un pas en arrière. Certes, elle était calme et visiblement chaleureuse. Pourtant, je ne pouvais pas m’empêcher de me sentir intimidée… non ! Terrifiée à l’idée de devoir supporter une nouvelle épreuve. C’était la même rengaine à chaque rencontre malheureusement et je savais pertinemment que mes amis ne pourraient pas toujours me prendre par la main pour m’aider à passer les épreuves. C’était donc à moi de faire ce que je n’osais pas malgré ce que je ressentais.

Elle ne me faisait aucune promesse. J’en étais fortement soulagée puisqu’à chaque fois qu’on tentait même de m’en faire une il arrivait quelque chose de mal. On avait bien tenté de me dire que cela n’avait rien à voir et qu’à l’intérieur de mes soucis je trouverais toujours de l’aide… je ne parvenais pas à y croire. Mais ce professeur n’en avait rien fait et cela m’avait fait relever un peu les yeux. Je ne m’étais rien attendu d’elle à vrai dire, ne pensant pas qu’une personne puisse faire quoi que ce soit pour moi. Après tout, même le père de Yasushi ne savait pas comment me donner des solutions, et encore moins mes amis. Le « temps » n’était pas assez fort pour enlever mes blessures. Je le savais par expérience.

- Je te fais la promesse que tout ce qui se dira ici restera entre nous, à moins que ta vie ne soit en danger et que je sois obligée d'en informer quelqu'un d'autre. Alors, je t'en prie, prends place sur l'une de ces chaises.

En entendant cela, je resserrai ce que je tenais dans mes bras en pinçant mes lèvres. Je ne savais pas quoi penser de tout cela et cela fit monter mon angoisse. Pourtant, elle ferma la porte comme pour nous donner un espace de pure intimité. Sachant que nous n’allions certainement pas crier, peut-être pouvais-je me permettre de la croire. N’est-ce pas ? Encore sur la réserve et défensive, j’allai m’asseoir juste avant qu’elle ne ressente le besoin de se montrer plus insistante à ce propos. Ainsi, elle s’installa en face de moi pour me parler très tranquillement, avec douceur :

- Tu dis que tu viens pour retrouver confiance en toi, mais tu n'es pas certaine qu'il s'agisse bien de cela. Saurais-tu me dire quelles raisons pourraient faire en sorte que tu manques de confiance ? Tes réponses ne sont pas obligées d'être exactes, après tout il ne s'agit pas d'un examen scolaire. Je souhaite seulement connaître ton point de vue.

Même si elle prétendait que je n’avais pas besoin d’être exacte dans mes propos, je ressentis le besoin de prendre le temps de réfléchir à la façon dont j’allais nommer mes souvenirs, mes sentiments et tout ce qui allait avec. Puis, d’une voix étouffée par mon hyper vigilance, je lui répondis :

- Je… je ne sais pas en fait. Tout ce que je sais c’est que j’ignore tellement de choses et j’ai… connus tellement de douleurs immenses que j’ai peur de tout… Les gens, l’extérieur ou même parler…

Ma réponse était loin d’être exacte et je ne pensais même pas qu’on puisse être satisfait de ça. Allais-je devoir tout raconter une fois encore ? C’était fort possible mais, dans le cas contraire, j’allais ressentir un soulagement dont je me sentais dores et déjà honteuse.

Pendant un instant, je crus avoir donné des explications qu’elle n’attendait pas vraiment puisqu’elle réfléchit. A moins qu’elle ne fasse que analyser pour tenter de savoir quoi me demander de plus ? Je ne savais pas du tout quoi penser. Du coup, quand elle me fit part que, plus de la confiance en moi c’était celle envers les autres qui était au plus bas, je me mordis la joue. Et, après avoir appuyé son analyse avec des arguments qui touchaient une corde sensible, elle me demanda si elle avait raison ou tort.

Pour mieux réfléchir, je baissai la tête. Ne pas voir mon interlocutrice me permit de faire descendre mon anxiété d’un cran et, ainsi, mieux prendre ses dires élément par élément. Normalement, ce n’était pas très compliqué à analyser et j’en étais totalement capable. J’avais juste perdu mes moyens à un point que j’étais capable d’en être désespérée dans le cas où je m’en rendrais comprendre.
Puis, au bout d’un moment, je lui répondis sans vraiment relever la tête et d’une voix presque étouffée par l’hypervigilance dont je faisais preuve :

- Non, c’est vrai… J’ai peur qu’on me fasse du mal, directement ou indirectement. Je ne suis pas à l’aise avec tout ce qui touche à tisser des liens avec les autres ou parler. … Et c’est comme ça depuis longtemps. C’est juste plus fort aujourd’hui qu’avant…

De plus en plus, je ressentais le besoin de partir me réfugier dans ma chambre qui était un lieu dont je connaissais l’ambiance. Pourtant, tremblante, je restais assise pour ne pas éveiller une colère plus ou moins forte chez mon interlocutrice. C’était moi qui l’avait sollicitée, du coup il me semblait « méchant », mal, de ma part de partir comme ça. Quoi que « irrespectueux » était certainement plus adapté.