« Vous savez où vous allez ? Moi non, seize printemps que je suis perdue à chercher un chemin, tout le monde me répète que c'est normal de pas le trouver mais j'aurais juste aimé qu'on me tende la main. J'aurais dû chercher un objectif dès le début, prendre ma naissance comme point de départ plutôt que d'attendre un signe qui n'est jamais venu. J'peux me plaindre et je le fais encore, mais sachez que je blâme personne, de toutes façons ça serait encore crier à tort. Gueuler dans le vent, j'ai bien essayé, mais j'ai toujours pas de message et j'ai perdu assez de temps. C'est à ce moment que je devrais être motivée à avancer, à dire que la vie est courte et que les chances sont si vite passées, mais maintenant que je pourrais me bouger dites-moi ce qu'il me reste, à part mon temps et aucun projet auquel le consacrer. Quand on a jamais réfléchis à ce qu'il se passerait demain, c'est vrai que c'est dur de savoir où aller, jamais se projeter trop loin, c'est encore plus déprimant quand on s'imagine que rien ne changera jusqu'à ce que tout soit terminé. J'aurais au moins aimé te laisser une chance de vivre une vie que tu méritais, j'aurais aimé pour toi une vie meilleure que celle que je t'ai imposée, j'aurais espéré que tu puisse faire ces choses que je n'ai jamais osées. Je doute que tu puisses me comprendre, mais je vivais dans l'ennui, j'ai vécu dans la peur et même maintenant je ne vis que de mes regrets. Et même si ça me fait du mal de l'entendre, je pense que tu ne m'aurais qu'à moitié manquée. »

J'efface la buée sur la vitre. Je tremble. Je vois les gens entrer et se bousculer pour être le premier au chaud. Je soupire, je fais une place à une fille que je ne connais pas. J'aurais aimé que ce soit toi. Je soupire. Je regarde dans le bus, cherchant du regard quelqu'un que je connais, je ne trouve pas. Ma seule compagnie est ma musique, j'aurais aimé que ce soit toi. Depuis quand, dis-moi, ta place est prise par une abrutie sans intérêt ? Depuis quand nos matinées ensemble se sont changées en regard vide, contre une vitre à travers de laquelle je ne peux pas voir ? L'hiver me fait moins trembler que de t'avoir à l'esprit, j'ai pas peur, non, et si nos sourires et nos paroles se sont transformés en mots et en encre, c'est plus parce que je regrette que parce que je redoute. J'aurais voulu ne jamais avoir à jouer avec toi, mais c'est toi qui m'y as convié, et pour l'«amour» d'une personne ? Je n'en ai que gardé une lettre et des traces aux poignets, et toi, un long séjour avec les flics. Et l'«amour», quelle valeur à ce soi-disant sentiment maintenant que je n'en ai plus ni de toi, ni de lui ? Pourtant je penses qu'on est toutes les deux trop fières pour avouer en première, ne serait-ce que pour donner l'exemple. Je t'ai peut-être fait passer pour une meurtrière, mais tu ne valais pas mieux après ce que tu avais fait, loin de moi l'idée de te remettre à ta place, je remets juste les choses dans l'ordre. Et saches que, même si maintenant je suis loin de toi, tu restes ma plus grande crainte et ma plus grande amour. Tu vois, frangine, j'ai grandi, j'utilise des métaphores et des antithèses que j'aurais même pas cherchées sinon. Tu sais, je regrette à moitié ce que j'ai fait mais l'autre moitié me crie que j'ai bien fait, t'es bien placée pour comprendre le sentiment de vengeance dont je devais me débarrasser. Malgré tout, en une lettre d'une académie, ma vie a radicalement, j'espère que tu pourras en faire de même... Peut-être, si c'est encore possible, nous redeviendrons les enfants heureux que nous étions.