Bienvenue dans mon premier cours !!! Mais j'ai déjà mes méthodes... (Libre)

Le cours de maîtrise des pouvoirs était l'un de ceux qu'Appia attendait avec le plus d'impatience, mais aussi d'appréhension. Pour éviter de se faire remarquer elle était venue en même temps que le gros des élèves (le "troupeau" comme aimaient les appeler ceux qui étaient fiers de ne pas en faire partie), qui avait développé une aptitude pour arriver à l'heure exacte de début du cours, de manière à ne surtout pas sacrifier la moindre minute de temps libre au système scolaire sans pour autant être en retard.

La leçon avait beau se dérouler en dehors des salles de classe, Appia avait gardé son uniforme habituel. De toute manière se disait-elle, il était hors de question qu'on lui fasse faire quoi que ce soit de trop physique ! D'une part parce qu'elle n'avait absolument pas le physique pour ça, mais aussi à cause de son "pouvoir" elle n'avait pas envie de se donner une réputation de "miss-porcelaine".

Lorsque sonnèrent onze heures, sans que le prof ne donne signe de vie, la classe commença à s'agiter. Et s'il était absent ? Dès son premier cours ? Après tout, on ne choisit pas le jour ou une double grippe combinée à une gastro nous tombe dessus ! Appia se dit que, tout compte fait, elle ne serait pas mécontente d'échapper à une démonstration de pouvoirs.

Hélas ! Voilà qu'arriva en courant... une montagne de muscles en tenue grise. "Prisca" trouvait ces costumes de sports absolument immondes, mais elle préféra garder sa remarque pour elle. Plus important, le professeur avait une barre de fer qui lui reliait les deux oreilles !! Comme il l'avait retirée avant de leur parler, Appia supposait qu'elle n'était pas plantée, mais de son point de vue c'était tout de même très glauque...
Pour le reste, le professeur Mc Tyson paraissait sympathique, ce que confirmaient ses mots de bienvenue. En tout cas, il tranchait sérieusement avec le vieux professeur maigrichon et sévère qu'Appia avait connu quand elle était petite.

Son peu d'optimisme s'effaça lorsque le colosse leur demanda de détailler leurs capacités, chacun leur tour. Devant tout le monde !!! A ce moment, elle aurait donné n'importe quoi pour posséder le pouvoir de disparaitre. Ou alors d'avoir un professeur qui ne jurait que par la théorie, tant pis si les les punitions pleuvaient !
Les élèves obéirent, chacun leur tour. Dans l'ensemble ses condisciples semblaient fiers de leurs capacités -voire très fiers-, et cela ne fit qu'accroitre le malaise d'Appia. Ils avaient tous des pouvoirs si classe, et utiles !! Elle-même avait une préférence pour la transformation en fantôme que disait posséder l'élève oriental aux cheveux bruns, qu'elle observa avec envie, les yeux brillants.

Quand son tour arriva, la "jeune" fille fit son possible pour se donner un air résolu pour masquer son mal-être. Elle esquissa un grand sourire poli, regarda le professeur dans les yeux, et dit:

- Je suis Appia Naevius Prisca. Et...

Comment présenter la chose ? Au milieu de toutes ces capacités géniales, elle n'avait pas très envie de sortir: "Mon pouvoir, c'est d'être presque intuable mais hémophile" ? Ou alors: "Ce que je sais faire, c'est d'être née il y a très très longtemps, mais de ne presque pas avoir vécu. Et d'être très fragile" ? Non, non, non ! Surement pas ! Pas devant autant de gens qu'elle connaissait à peine. Il ne manquerait plus que cette... bande de gamins aux corps d'adultes... se moque d'elle. Même dans une école de cas particuliers, elle allait passer pour une folle. Ou pour un cas, ce qui de son point de vue était pire !
Eh bien tant pis pour eux ! Qu'ils se débrouillent avec la réponse qu'elle allait leur donner.
Elle jeta quelques regards autour d'elle, puis eut un vague sourire d'excuse et ajouta simplement:

- Je crois que mon pouvoir est plutôt passif.

Puis elle alla rejoindre son groupe.

Cher journal,
Je ne sais pas si j'ai bien fait de ne pas parler de mon pouvoir: j'espérais passer inaperçue, mais j'ai peur que ça ne soit l'inverse qui se soit produit ! Le professeur m'a dit que je pourrai toujours lui en parler discrètement. S'il insiste, peut-être... au moins une partie. Mais il en faudra plus pour que je me confie entièrement à un inconnu !
Sinon, il a été question de la façon dont les capacités des gens se manifestent: ça par contre, ça m'intéresse !

A la proposition du professeur de parler de son pouvoir plus discrètement, Appia répondit par un discret hochement de tête, et un sourire mi reconnaissant, mi résigné. Si elle ne pouvait pas y échapper, autant que cela se passe de cette façon. Et qui sait, il en ressortirait peut-être du positif ?

Le speech du professeur évoqua deux choses à Appia. La première concernait le pouvoir du colosse: s'il le désirait, il pouvait tout à fait obliger ses élèves à travailler, même contre leur gré. Ce n'était pas formulé comme un avertissement, mais elle l'interpréta de cette manière. Autant dire qu'il valait mieux jouer le jeu avec lui !

Et deuxièmement... alors comme ça, les pouvoirs pouvaient apparaitre selon les besoins de la personne ? Si elle l'avait su, elle aurait choisi le sien plus intelligemment... de manière à savoir par exemple soulever la pierre, ou passer au travers ! Cela la fit beaucoup réfléchir: coincée sous une tonne de roches, n'avait elle pas prié, supplié, pour éviter de mourir ? Elle avait été exaucée, sans comprendre comment ni pourquoi. Ainsi donc quelqu'un, ou quelque chose, l'avait réellement entendue ?...
Elle ne savait pas vraiment si elle avait été flouée vu sa capacité -elle rechignait à parler de pouvoir-, mais peut-être la puissance ou l'utilité des pouvoirs des gens avait-elle simplement évolué au cours des siècles ? Cela soulevait une multitude de questions: y avait-il eu d'autres personnes comme elle a son époque ? Et qu'en était-il maintenant ?
Et si les pouvoirs apparaissaient en fonction des besoins, pouvait-on en avoir plusieurs ?
Tout à coup, le cours prenait une tournure vraiment... passionnante.

C'est en entendant son nom que Prisca émergea: des binômes ?! Oh, misère...
La chose ne fut cependant pas si désagréable qu'elle ne l'avait craint, puisqu'il fut décidé qu'elle irait avec le garçon au pouvoir qui lui paraissait le plus intéressant: le prénommé... Hey-Quio Ma... euh... Matsoudat ?
Peut-être le professeur avait-il remarqué ses yeux brillants d'envie lorsque le jeune homme avait parlé de son pouvoir ? Ou alors avait-il un autre secret particulier, lui aussi ?

"Hey-Quio" n'était pas loin d'elle, mais un problème de convenances se posait: devait-elle s'adresser à lui la première, ou attendre qu'il fasse la démarche ? Logiquement, c'était au plus jeune de prendre la parole le premier. Théoriquement, c'était elle la plus âgée, et de loin ! Mais les apparences laissaient franchement penser le contraire. D'ailleurs, "Matsouda" était à l'académie depuis plus longtemps qu'elle.
Eh bien elle parlerait d'abord ! Cela pourrait aussi bien passer pour un simple respect des convenances que pour une manière de la part d'Appia d'honorer son interlocuteur.
Et puis les gens de ce temps ne paraissaient pas aussi à cheval sur les convenances. Elle l'ignorait bien sûr, mais elle se compliquait la vie pour rien !
Elle se rapprocha donc de lui, et prit la parole avec un grand sourire et un ton enjoué, qui ne laissaient rien paraître de toutes ses tergiversations.

- C'est toi Hey-Quio ? Je suis Appia, enchantée !

Elle lui tendit la main, d'un geste qu'elle s'efforça de rendre élégant.
Ce n'était pas seulement sa manière de dire les noms, mais toute la prononciation d'Appia dans l'ensemble qui était incertaine. L'anglais n'était pas sa langue maternelle, et cela s'entendait !
Tout en parlant, elle entraîna son camarade à l'écart du groupe. A la fois pour éviter les démonstrations en public et pour permettre à Mr. Maquetaysonne de venir lui parler lorsqu'il le voudrait.

- Dis, tu sais ce qu'on est censés faire, toi ? Parce que très honnêtement, je ne serai pas capable de faire une démonstration...

Appia profita de l'avoir devant elle pour examiner sous toutes les coutures son interlocuteur, sans chercher à dissimuler ce qu'elle faisait. Il était plus grand qu'elle -mais ce n'était pas bien difficile- et plutôt svelte. Avec de jolis yeux verts. A part ça, son teint indiquait qu'il était originaire d'extrême orient. Mais c'était apparemment le cas de beaucoup de ses condisciples. Elle ne savait rien de ces pays-là, mais ce n'était qu'une de ses nombreuses lacunes. Il avait un visage agréable, mais une mine franchement ennuyée ! "Prisca" lui aurait volontiers prescrit une bonne cure de sommeil... ou un régime tonifiant !!
Elle sembla hésiter un moment, puis son visage s'éclaira d'un grand sourire, et elle reprit la conversation comme si de rien était, en s'exclamant:

- Par contre ton pouvoir à toi il a l'air vraiment bien !!! Enfin... quand tu dis "non-physique", c'est que tu deviens comme une espèce de fantôme ? Ça m'aurait bien aidé de savoir faire ça moi !

C'était peut-être paradoxal, de vouloir autant d'information sur les capacités de son partenaire alors qu'elle-même ne voulait pas en parler, mais cela lui importait assez peu : étant bavarde et curieuse de nature, elle n'avait aucun scrupule à le bombarder de questions !

Cher journal,

La réaction de cet Akio, -ou Aiko, Kaio,... je ne sais plus-...  m'a tellement surprise que j'ai éclaté de rire ! J'étais vraiment sûre qu'il plaisantait au début, mais en fait non. Au moins, on peut dire sans se tromper que notre binôme est un échec total.
En y repensant, ce qui se passe est vraiment ridicule: à cause de mon soi-disant pouvoir j'ai traversé... plus de mille cinq cent kilomètres pour aller à Tsuki, et presque autant d'années, j'ai fait l'effort de m'intégrer à ce monde auquel je ne comprends pas grand-chose... pour au final, à la première occasion que j'ai d'échanger un peu avec quelqu'un qui a aussi une "capacité spéciale", me faire rembarrer par ce garçon désagréable !


Ces dernières années, Appia était restée prostrée tellement longtemps qu'elle en avait presque oublié ce que c'était que de rire aux éclats. Et elle redécouvrit à quel point c'était agréable, malgré l'étrangeté de la situation. Elle  regardait le japonais avec incrédulité, comme si elle s'attendait à ce qu'il lui annonce qu'il plaisantait. Une fois son fou rire calmé, elle lui répliqua:

- Dis, tu es sûr d'être un émeraude, toi ? C'est peut-être cliché, mais je vous imaginais plus... altruistes, tous !

Elle s'esclaffa à nouveau, amusée par sa propre remarque.

Bien sûr qu'elle s'attendait à ce qu'il sache quoi faire ! Il n'était pas nouveau, contrairement à elle. Et plus elle accusait le coup, plus le comportement de son partenaire la choquait. Pourquoi était-il dans cette école, puisqu'il ne voulait rien y faire ? Se rendait-il vraiment compte de sa chance ?
Elle-même se souvenait très bien que ses parents, comme ceux de tous ses camarades de classe,  devaient payer assez cher pour scolariser leurs enfants. Et tous les enfants en étaient conscients, c'est pourquoi ils faisaient généralement des efforts (pas forcément couronnés de succès, d'ailleurs) pour être bons à l'école. Alors cet Akio, -ou Aiko, Kaio,... elle ne savait plus-... qui préférait passer son temps à dormir plutôt que de profiter de cet incroyable privilège qu'il avait d'étudier gratuitement, et dans une école magique de surcroit, l'indignait ! Et cela, même si elle-même n'était pas franchement une amatrice des études.
Pour se donner une idée de la façon dont elle percevait les choses, il suffirait d'imaginer une affamée qui verrait des gens jeter de la bonne nourriture, simplement pour le plaisir.

"Prisca" aurait volontiers dit ses quatre vérités au jeune homme, agrémentées de quelques qualificatifs tels que "tête à claques" et "sangsue irresponsable". Mais elle tenait à passer en toutes circonstances pour une fille bien élevée, et cette situation ne ferait pas exception. Elle se reprit donc, et troqua le regard noir avec lequel elle considérait son interlocuteur contre une expression simplement exaspérée. Puis elle haussa les sourcils, et lui demanda, en feignant d'être polie.

- Moi je comprends que tu n'aimes pas l'école. Mais alors, pourquoi y vas-tu ? Je veux dire... regarde toi, tu es presque un homme non ? Alors pourquoi restes-tu ici à t'ennuyer, et à ennuyer les autres, alors que tu pourrais travailler et gagner de l'argent ?

Le ton de sa voix était resté calme, la goutte de moquerie y était très diluée, et rien dans son attitude ne laissait deviner qu'à l'intérieur elle bouillait.

- Avec un pouvoir comme le tien, au lieu de dormir en classe, tu pourrais faire tellement de choses ! Comme sauver des tas de gens ! Tu aurais pu me sauver, moi...

Si elle avait eu un a priori très positif avant de le connaitre, ce garçon ne l'intéressait plus du tout. Elle avait espéré que, peut-être, en le voyant agir avec son pouvoir, elle trouverait une méthode pour influencer son propre corps. Mais elle devait se rendre à l'évidence, son seul secours viendrait du professeur.

Toujours avec un sourire qui contrastait avec la dureté de ses pensées, elle conclut:

- Eh bien je te laisse dormir, Ail-Qui-Haut -elle prononça le nom avec application-.
Mais je serais toi, je garderai un oeil ouvert, ou alors je me transformerai en fantôme... au cas ou.

Elle avait dit ça avec un air radieux, comme si tout était pardonné et que ce n'était rien d'autre qu'une taquinerie. Mais Appia avait une idée en tête si Akio ne s'exécutait pas: elle nécessitait simplement un feutre noir, une victime endormie ou inanimée, et un peu d'imagination créative !