Et pourtant elle tourne [Pv Fuanteina]

C'était une de ces matinées d'hiver où le bleu électrique du ciel donne à la fraîcheur de l'air quelque chose de vivifiant.
Weiss en avait déduit que ce serait un bon moment pour ressortir ses baskets et courir un peu, activité qu'elle adorait mais négligeait un peu en ce moment. Comme elle commençait les cours plus tard que d'habitude, ce jour-là, il ne lui en avait pas fallu davantage pour se rendre au terrain d'entraînement.
Il lui sembla qu'elle était seule quand elle jeta un coup d'oeil rapide. Ça n'avait pas grande importance pour elle de se sentir observée ou non, même dégoulinante de sueur, mais au moins elle ne se disputerait pas la place avec un élève en plein entraînement de ses pouvoirs. Elle grimaça. Si son propre pouvoir n'avait pas été aussi inutile, elle aurait bien aimé faire ça, aussi. Tant pis.
Sans prendre la peine de s'échauffer, elle commença à faire le tour du terrain. Elle était plutôt rapide, mais c'était surtout de l'endurance que lui avait donné l'habitude de courir.
Ça lui procurait un bien fou. Concentrée sur l'effort, elle laissait derrière elle tout ce qui lui servait de soucis, elle faisait acte de résistance envers l'ennui. Comme elle retrouvait ces sensations, elle se sentit capable de battre son record.
Elle déchanta vite. Au bout de quelques tours, l'inactivité des dernières semaines se fit soudain sentir dans ses jambes fatiguées, sans compter l'air glacé qui lui brûlait la gorge. Elle fut bientôt contrainte de s'arrêter, déçue d'elle-même, pour reprendre son souffle, et décida de faire le tour du terrain en marchant. Elle ne remarqua pas immédiatement qu'elle n'était plus seule.

Weiss sursauta.
D’accord, même en s’en foutant de tout, elle pouvait se faire surprendre. Et ne pas aimer ça. Non, vraiment, elle tournait en rond dans un espace complètement ouvert depuis plus de dix minutes, et quelqu’un avait tout de même réussi à arriver dans son dos sans qu’elle ne lui prête attention. C’était plus effrayant que ce qu’on pouvait penser !

- Ouah, fit-elle en se retournant, une main sur la poitrine pour symboliser la crise cardiaque qu’elle avait frôlée. Tu sors d’où, toi ?

Weiss s’appliqua à afficher un visage détendu pour tempérer l’impression d’agressivité que pouvait donner ses paroles. Elle n’avait pas l’intention d’insulter l’autre non plus... Elle recentra son attention. Une fille légèrement plus jeune, avec des cheveux d’un vert surnaturel et un regard doux assorti.
Qu’est-ce qu’elle avait dit, déjà ? Faut être la dernière des connes... Ah oui. Weiss hocha la tête avec sérieux.

- Absolument. J’trouve ça ridicule, ces gens incapables de résister à l’envie d’exhiber leur corps à cette période de l’année.

Sachant que les deux filles portaient approximativement autant de tissu l’une que l’autre. Weiss compara d’un coup d’oeil la longueur de leurs shorts pour s’assurer qu’elle n’avait pas fait de gaffe... Attends, c’est quoi ce truc qui dépasse ?
Ah, des questions se posaient. Comment considérait-on les pouvoirs à Tsuki ? Est-ce qu’interroger un élève dessus faisait partie d’une conversation normale ? T’as eu combien en maths ? C’est quoi ton pouvoir ?
Et si c’était le cas, est-ce que ça l’autorisait à demander à une fille si elle avait une queue ? Ou si elle voulait bien se retourner pour qu’elle puisse regarder ses fesses ?
Bah... Après tout, envoyer bouler les conventions sociales c'était presque son métier.

"Ouah. Tu sors d’où, toi ?"

Bah... "Bah de ton dos, connasse." Bon, je sors pas réellement de son dos et... Est-ce que je suis en train de débattre avec une voix dans ma tête ?

"Heu... Désolée..."

J'avais parlé de manière inaudible, elle n'avait sans doute pas entendu mais je me contentait de lui rendre son sourire, que je pensais comprendre comme un "je t'en veux pas" ou heu... quelque chose comme ça...

"Absolument. J’trouve ça ridicule, ces gens incapables de résister à l’envie d’exhiber leur corps à cette période de l’année."

Le point positif c'était qu'elle n'était pas partisane du premier degré. Le point négatif... c'était que, malgré l'habitude qu'avaient les gens de... reluquer mon postérieur et mon membre de reptile, c'était toujours aussi gênant, aussi bref que ça soit. Ceci étant, je ne pouvais clairement pas blâmer cette fille de regarder cette anomalie... Je pouvais après, soit la rappeler à l'ordre, soit lui montrer de manière plus franche et moins décente...

"Heu... Excuse-moi ?"

Bah on verra bien comment elle réagit, je pense pas qu'il y ait de "mauvaise" réaction... Enfin, j'imagine aussi qu'elle va extrapoler le peu de rouge sur mes joues...

- Hum, désolée.

Aïe, quelqu’un qui rougissait au moindre regard de travers. Weiss se sentit un instinct de répulsion envers l’inconnue. Pas sa faute, les gens timides lui tapaient sur les nerfs... Sans doute en partie parce qu’elle préférait blâmer ce trait de caractère chez les autres qu’admettre qu’elle était en tort, à vrai dire. Bon. D’accord, elle n’aurait pas dû mater. Evidemment que c’était gênant, à quoi s’attendait-elle ? Elle ne pouvait pas éternellement reprocher à son entourage de mal réagir à son indélicatesse.

Au vu de la réaction de la jeune fille, Weiss préféra ne pas poser de question au sujet de l’excroissance suspecte. Elle en avait assez fait, disons. Comme d’habitude, il ne s’agissait pas vraiment de gentillesse, elle était toujours aussi vide d’empathie. Elle voulait plus se convaincre elle-même de sa capacité à se comporter de manière correcte que ménager réellement la sensibilité de son interlocutrice.

"Heu... désolée... Heu... excuse-moi ? Hum, désolée." Une conversation de qualité, en tout cas, changer de sujet était une véritable partie de plaisir. Un vent froid fit frissonner Weiss, elle frictionna ses bras qui se hérissaient de chair de poule.

- En vrai, on va tomber malade si on reste sans bouger dans cette tenue. Ça te dit de retourner courir ?

Une proposition qui, elle le supposait, permettrait à l’inconnue de la suivre si elle souhaitait de la compagnie ou de facilement se rétracter si elle la trouvait importune, sans trop la contraindre à l’un ni lui donner l’impression que Weiss souhaitait l’autre. Pour sa part, elle était à cheval entre désir d’être seule et désir de ne pas l’être ; elle aviserait.