Concentration extrême (libre)

Je ne me souviens de rien. Qu'est ce qui a bien pu se passer à ce moment là? Seuls ces quelques mots tournent dans ma tête, cette promesse que j'ai faite, que je tiendrai, mais dont je n'ai pour seul souvenir que ce en quoi elle consiste. Les circonstances, ce qu'il s'est passé... Rien. Je ne me souviens de rien. Je suis perturbée, c'est un fait. Réfléchissons de manière logique... J'étais dans la forêt, il y avait ces deux garçons, et... La seule possibilité que j'envisages, c'est d'avoir fait une crise, une fois de plus. Mais alors pourquoi n'ai-je pas TOUT oublié? Pourquoi ces mots restent dans mon esprit comme pour me rappeler qu'une fois de plus j'ai été faible et me suis laissée emporter par mes sentiments?

Ces derniers temps, je n'arrive plus à dormir. Trop d'événements s'abattent sur moi dans une même période. Je n'en peux plus, il faut que je lâche mes nerfs sur quelque chose. À cause de l'hiver, cela fait quelques temps que je ne me suis pas rendue au terrain d'entraînement, mais ça me manque. C'est un bon endroit pour se défouler. Alors, malgré tout, je décide de m'y rendre, sans manteau, même par cette saison et ce froid. Vêtue de ma simple veste noire, je ma chemise jaune caractéristique et d'un jean simple, les cheveux comme à mon habitude ébouriffés et partiellement teintés de bleu, je m'aventure au travers des jardins de Tsuki, en direction de mon objectif. Je n'ai même pas eu envie de me munir de mon casque. Je ne me sens pas d'humeur à écouter de la musique.

Une fois arrivée à destination, je m'installe dans un coin sans prêter attention à tout ce qui se passe autour, et commence tout bêtement à faire pousser des plantes au sol. J'aurais préféré mettre un bon coup de poing dans quelque chose, mais je n'ai rien à disposition, et il est bien sûr hors de question que je m'en prenne à un arbre ou encore à moi même. C'est donc comme ça que je passe ma rage. En verdissant tout ce qui se trouve autour de moi. J'essaye de dépasser mes limites, de faire pousser des plantes plus grandes, plus rapidement. Mais je suis en réalité trop absorbée par mes pensées pour parvenir à quoi que ce soit. Je contemple les étincelles vertes qui jaillissent de mes mains sans même remarquer la fille là bas, qui joue au basket.

Je suis figée, pensive, comme hypnotisée. Tout ce que je fais là ne m'aide pas. Ca ne sert à rien. C'est juste moi qui essaye tant bien que mal de me convaincre que je suis capable de passer ma colère en faisant pousser des plantes, mais non. Je serre les dents. Je ne sais pas pourquoi je continue d'utiliser ce foutu pouvoir qui ne fait pourtant que de m'attirer des ennuis et que je ne sais pas vraiment maîtriser. Je me répète que je suis là pour apprendre, et que ça va venir, mais j'ai l'impression que tout est trop long. Pourtant, je suis patiente de nature... Mais je vois mon pouvoir comme un outil de vengeance... Quoique, je devrais sûrement apprendre à en faire un autre usage. Il y a des choses qu'il faut que je change chez moi. Mais je ne veux pas changer! Je ne veux pas être quelqu'un de différent... Voici encore un nouveau conflit interne qui s'engage.

Malgré tout et mon regard dans le vide, je continue. Jusqu'au moment où subitement je fais apparaître sur ma main droite une partie de cette combinaison végétale que j'affectionne tant, et que je me retourne pour frapper un arbre de toutes mes forces. Je sais que j'avais dit que je ne le ferais pas, mais encore, mes sentiments m'emportent et passent par dessus ma raison. Le choc est amorti par les plantes, et le bouleau ne bouge qu'à peine. Seules quelques petites feuilles brunes ayant résisté à l'hiver tombent au ralenti sur le sol verdit. Encore une fois, je me sens faible et impuissante. Je pousse un soupir, le bras encore appuyé contre le tronc du pauvre arbre, quand j'entends comme un murmur non loin de moi;

"-Pourquoi tant de rage ? "

Surprise, je m'arrête et détourne le regard en la direction de la jeune femme qui à l'instant encore s'entraînait elle aussi de son propre côté. Elle me jette un regard un peu étrange, que je ne saurais différencier d'un jugement, d'un reproche ou encore d'un simple questionnement. Je me redresse toujours face à l'arbre blanc, ayant stoppé tout sans exception, la tête basse, prenant une grande inspiration avant de dire;

"-Parce que. Je suis frustrée."

La jeune fille n'a d'abord aucune réaction. Comme si elle m'avait posé cette question mécaniquement et qu'elle n'attendait en réalité pas de réponse, ou alors juste qu'elle s'en fichait, au choix. Toujours regardant le sol, mon poing soutenant le mince poids de mon corps vers l'avant, j'entends des pas s'approcher, les siens sans nul doute possible. Je sens l'arbre se courber un peu plus, quoique toujours très légèrement, quand elle prend à son tour appui dessus.

"-C'est un pouvoir que j'aime bien, il est beau."

Je suis d'abord un peu surprise par cette remarque, quoique tout de même flattée. Cela me rappelle la période de mon arrivée à l'académie, quand je croyais mon pouvoir inoffensif au possible et juste ridicule. Je n'avais pas réalisé tout son potentiel. Aujourd'hui j'ai plus l'impression que c'est moi qui suis inoffensive pour lui que l'inverse. Toutes ces plantes extraordinaires que je ne connais pas... Si il y avait des cours de botanique ici, je jure que je n'en louperais pas un! Ce serait d'ailleurs sûrement le seul cours où je me pointerais. Je relève ma tête en sa direction et découvre ses yeux rivés sur le malheureux arbre que je suis venue perturber et qui nous sers dorénavant d'appui.

"-Merci. J'aimerais savoir m'en servir mieux, et m'améliorer. Je serais incapable de faire pousser un bouleau pareil, de pleine conscience du moins."

Je lève ma tête en direction de la cime de ce dernier. Il doit bien faire cinq ou six mètres de haut. Un grand bouleau. Et moi je ne peux dépasser une limite d'à peu près deux mètres. Ca viendra avec le temps. Et puis, je découvrirai sûrement de nouveaux aspects de la puissance de Gaïa d'ici peu.

La jeune fille - qu'il faudra bien que je cesse d’appeler de la sorte un jour - est comme en train de caresser l'arbre. C'est un peu étrange... Et mon énervement ne fait que rendre son calme plus agaçant qu'autre chose. J'en arrive même à me demander si elle n'effectue pas ces mimiques pour se moquer de moi ou quelque chose comme ça. Mais je ne dis rien, car je sais parfaitement que ma vision des choses est erronée quand je suis dans cet état.

"-Il ne faut pas trop en demander à ton pouvoir, ni à toi même, si tu as ce pouvoirs c'est que sans nul doute tu pourras accomplir de grand chose sur cette terre dépourvu de bon sens. "

Je partage au moins son avis sur ce dernier point, mais ne peux retenir un léger rictus amusé à l'écoute de la première. "Ne pas en demander trop à mon pouvoir et à moi même..." Non. Je suis là pour progresser, et pour y parvenir, il n'y a pas de meilleures solutions que de pratiquer. Sans ambition on arrive jamais à rien, et moi j'ai de grands projets pour Gaïa.

La jeune fille semble comme... Vide. C'est trop étrange. Tout ce qu'elle dit semble mécanique, mais prononcé avec une étrange douceur. Comment peut-on rester aussi calme... Est-elle comme ça tout le temps? Je sais que tout le monde ne s'emporte pas aussi facilement que moi... Quoique ça dépend des situations.

"-Chaque chose en son temps... bientôt"

Ca fait déjà quatorze ans et demi que je suis là. Enfin "déjà", seulement quatorze ans. C'est court, quatorze ans. Je suis encore jeune, je le sais. Mais pourtant j'ai l'impression d'avoir déjà vécu tellement de chose... C'est long, le temps. Mais bon, je crois que je n'ai pas le choix! Tant pis. J'attendrai.

"-Dis moi, tu es toujours aussi calme? Ca ne t'arrive jamais de te mettre en colère pour un raison ou une autre? Tu parais tellement... Zen."

"-Oui, d'aussi loin que je puisse me souvenir il me semble, et il m'arrive d'être en colère mais c'est assez rare, je fait toujours en sorte de contrôler la situation."

Une fois de plus, je souris brièvement en coin, peu convaincue. Il est impossible de toujours tout contrôler. Il est impossible de prévoir tout les facteurs qui entreront en ligne de compte quand un problème adviendra, ça ne marche pas comme ça. Ce qu'il faut, dans tout, quelque soit les circonstances, c'est l'équilibre et le juste milieu. Avoir une défense de prête quand on est au repos, ou pas en position d'attaquer, savoir trancher entre les différentes solutions, c'est ça l'idéal. Même si je m'énerve parfois contre moi-même, je suis de nature et la plupart du temps calme. L'un n'empêche pas l'autre. Et je ne prétends pas être un modèle! Il me reste encore de grands progrès à faire. Mais au moins, je sais vers où je veux aller.

"-Mais au faite, tu est ?"

Ajoute-t-elle en se retournant vers moi. Pendant un instant je baisse la tête avant de fermer les yeux, de prendre une grande inspiration et de me redresser, plaçant ma main contre mon front, en salut militaire, bien droite, et d'annoncer;

"-Luxia Kabuto, maison Saphir!"

J'aime faire ça, allez savoir pourquoi. Je retrouve une posture plus décontractée, les mains dans les poches de mon jean, avant de rétorquer;

"-Et toi, tu es?"