Kayla Straüss [Finie]

Kayla n’a pas eu une vie extraordinaire. Non, elle a eu une vie banale, quoiqu’un peu tourmentée, peut-être, mais jamais rien de bien fou.

Elle poussa son premier cri lors d’un hiver banal. A vrai dire, elle n’aurait jamais pu le pousser, ce cri emplit de vue : elle n’a jamais été désirée par ses parents, elle n’était qu’un… accident. Un accident de la vie, fruit d’une aventure d’un soir, c’est tout. Elle ne connaîtra par ailleurs jamais son père biologique, ayant quitté sa mère dès qu’il eût apprit qu’elle comptait bien garder le fruit de ses entrailles. Sa mère, par ailleurs, pour cacher ce déshonneur, fit en sorte que jamais la vérité ne se sache et préféra masquer le départ par une mort soudaine.
Et les larmes coulèrent sur ses joues tel un remord.

Ilse ne reçut jamais l’amour de sa mère, rongée par le remords d’avoir préféré la vie de la petite plutôt que la compagnie de son amant. Elle n’était jamais là, prétextant avoir un dur travail. Elle partait tôt le matin et rentrait tard le soir, de telle sorte que Ilse ne la voyait que très rarement. Mais la jeune fille ne s’en plaignait pas ; à vrai dire, elle ne se plaignait jamais. C’était une nounou qui s’occupait d’elle, l’élevait. Sur le chemin de l’école, elle voyait des enfants de son âge, entourés de leurs parents, d’un chaleureux amour paternel, une bande d’amis pour rire et les soutenir lorsqu’ils en avaient besoin. Et elle, Ilse, était seule, à l’écart. Accusant ce sentiment de solitude qui la rongeait de plus en plus, les regards désolés des passants à la vue de son air mélancolique. Oh, bien sûr, qu’elle aussi avait des amies, mais pour combien de temps ? Etais-ce vraiment des amies sur lesquelles l’on pouvait compter ?
Et les larmes coulèrent sur ses joues tel un remord.

Au fil du temps, la nounou qui élevait Ilse devenait de plus en plus sévère auprès de cette pauvre fillette. Elle exigeait plus, punissait si la jeune fille n’atteignait pas ce qui était attendue d’elle. Bien sûr, jamais physiquement, cela irait à l’encontre de tous principes ; une petite remarque blessante, abaissante, une phrase sèche. Et Ilse ne répliquait pas, se contentant d’exécuter : n’étais-ce pas ce que devaient faire toutes les petites filles ? Ses amies s’éloignèrent d’elle, la laissant seule, exposée, vulnérable.  Elle était effrayée, d’être seule, mais elle n’osait s’approcher de ces gens rayonnants de bonheur, si… différents. Alors, elle souriait. Elle souriait, pour dire que tout allait bien, se donnant un masque pour tromper les apparences. Accusant ce sentiment de solitude qui la dévorait petit à petit, le regard de ses camarades à la vue de son air abattu. Ses draps comme seul mouchoir, son lit, son journal comme seuls confidents.
Et les larmes coulèrent sur ses joues tel un remord.

Sourire, encore et encore. Accepter l’absence de sa mère partie un jour et plus jamais rentrée ensuite. Accuser les remarques désobligeantes lorsqu’elle se mettait à luire. La découverte de son pouvoir fut un nouveau choc à encaisser. La nounou fut plus sévère qu’à l’accoutumée. Ilse ne pouvait s’empêcher de briller, y compris quand il ne le fallait pas. Elle, ça l’amusait, au fond, de pouvoir briller. Mais son pouvoir difficilement contrôlable bien qu’inoffensif, devenait de plus en plus un fardeau. Cependant, elle continuait de sourire, refoulant ses véritables sentiments et se cachant derrière un masque fragile. Accusant le regard surpris, apeuré même, de ses proches. Accusant ce sentiment de solitude qui la détruisait petit à petit. Eternellement seule, délaissée.
Et les larmes coulèrent sur ses joues tel un remord.

Ilse cligna plusieurs fois des yeux. Elle avait reçu une étrange lettre l’invitant à rejoindre une tout aussi étrange académie accueillant des personnes qui, comme elle, possédaient une capacité hors du commun. Aussitôt charmée, aussitôt partie. Elle n’eut pas à faire de longs adieux, à vrai dire, elle n’avait personne à qui s’attacher. Ainsi commença sa nouvelle vie. Et elle sourit, heureuse. Peut-être la page allait-elle se tourner ?


Et les larmes coulèrent sur ses joues tel un remord…