Je n'ai presque aucun souvenir de mon père, il est mort quand j'avais deux ans. Tout ce qui me reste de lui aujourd'hui, ce sont quelques photos où on le voit de dos ou de loin... et un anneau qui m'est plus précieux que ma propre vie. Ma mère l'a toujours décrit comme quelqu'un de gentil, attentionné, pour qui sa famille était l'unique chose qui le préoccupait.  
"Tu as ses yeux." m'a-t-elle toujours dit en souriant.  
Elle était belle, ses longs cheveux noirs étaient semblables à une cascade sur ses épaules et elle avait des yeux d'un vert si profond qu'on avait l'impression d'être au cœur d'une immense forêt. Elle était toujours là pour aider les autres malgré le peu qu'on avait. Je l'admirais...  

Nous avons vécu tranquillement pendant quelques années, mais ma mère a perdu son emploi l'année de mes 12 ans. Après ça elle n'a eût d'autre choix que de te trouver un autre compagnon pour survenir à nos besoins et elle a choisi la mauvaise personne. Pendant quatre longues années j'ai entendu, impuissant, terrifié, ma mère se faire battre par mon beau-père dans la pièce d'à côté, elle me rassurait en me disant qu'elle devait subir ça pour nous et que tout irait bien. Mais plus le temps passait et plus il frappait fort, ma mère était de plus en plus faible et je savais qu'un jour, il la tuerait.

Quatre ans passèrent. Une nuit je me levai pour aller boire un verre d'eau, mon beau père était dans le salon, ivre. Ce dernier me regardait droit dans les yeux tandis qu'il frappait ma mère, étendue au sol, à grand coups de pieds.  
"Va me chercher de la bière ! Ou je la frappe encore plus fort", hurla-t-il.  
J'étais tétanisé et soudain j'entendis ma mère pleurer, elle qui d’habitude était si forte, impénétrable, était en train de pleurer. Je me souviens avoir ressenti une colère comme jamais auparavant, je ne voulais qu'une chose... qu'il arrête, qu’il souffre, qu’il comprenne ce qu’est la douleur !  
À ce moment j'ai senti une intense douleur dans mon avant-bras droit au niveau de mon tatouage. Pour la première fois de ma vie, j'ai vu mon beau-père avoir peur :  
"Tes...Tes yeux !" bafouilla-t-il.  
Je ne ressentais plus rien à part de la colère et soudain mon tatouage sembla prendre vie et de la fumée commença à apparaître devant moi, je n'ai pas tout de suite compris que c'était la silhouette d'un dragon tellement j'étais perdu et impuissant face à la situation. L'épaisse fumée noire semblait aspirer toute la lumière du salon, j'ai brièvement vu ses yeux, ils étaient rouge vif et brûlaient d'une telle colère que je commençais à en avoir moi-même peur. Et soudain il se retourna vers mon beau-père et cracha un torrent de flammes, je l'ai entendu hurler de douleur, senti une odeur de chair brûlée et j'en éprouvais la plus grande satisfaction, puis plus rien.
 
Quand je me suis réveillé, j'étais assis à l'arrière d'une ambulance, allongé sur un brancard et j'entendais deux voix à l'avant.
"- C'était l'horreur.
- Tu l'as dit, j'ai jamais vu des corps brûlés comme ceux-là, je suis même pas sûr qu'on pourra les identifier, on sait juste que c’était un homme et une femme.
- On sait ce qui a mis le feu à tout le quartier ?
- Non, on en saura plus demain. J'espère que le gamin va s'en sortir."
Après cela, j'ai arrêté d'écouter... quelques images me sont revenues, je me suis souvenu et j’ai pleuré en silence... J'avais tué ma mère... J'avais brûlé vive ma propre mère...

 

Après tout cela, j'ai été recueilli par ma tante que je ne connaissais pas, ma mère ne m'en avait jamais parlé, mais je savais une chose sur elle : elle me hait.  
Au début, je pensais qu'elle s'occuperait bien de moi, mais j'avais tort. J'ai dû apprendre à me débrouiller seul, elle ne me faisait ni à manger, ne s'occupait pas de mon linge ni rien d'autre. Elle ne faisait que remplir le frigo et m'achetait quelques vêtements de temps en temps, mais ça s’arrêtait là. J'ai donc apprit seul à me faire à manger, à laver et repasser mon linge et d'autres trucs utiles.  

Au début, je suivais les cours, mais au bout d'un moment, j'en suis venu à me demander quel avenir pouvait attendre quelqu'un qui avait tué sa propre mère ?  
J'ai commencé à sécher les cours et à me balader dans la rue et un jour, alors que je prenais un raccourci pour rentrer à travers une ruelle, je me suis fait interpeller par un groupe de quatre gars. Ils m'ont dit que je n'étais pas humain à cause de mes cheveux blancs, que je ne méritais pas de vivre et d'autre trucs, comme les ados ont l’habitude de prendre plaisir à dire. Voyant que je ne réagissais pas et les ignorais, ils ont commencé à me frapper et à l'époque, je ne savais pas encore me battre. C’était la première fois que je me prenais une raclée et c’est pas le truc que je préfère… Chacun de leur coup était plus puissant que le précédent, je sais pas ce que j’avais fait pour mériter autant leur haine, puis j'ai senti une douleur dans mon avant-bras. Non ! Il ne faut pas que ça recommence, pas encore ! J’essayais de retenir cette force au plus profond de moi, je ne voulais plus qu'il vienne, plus jamais !  
J'ai fini par me retrouver à l'hôpital avec une épaule déboîtée et deux côtes cassées, mais cela ne m'importait peu, à quoi bon vivre quand on a plus rien.  

Après avoir été remis sur pied, je retournai dans la même ruelle espérant cette fois qu'il me tuerait, mais aujourd'hui, il s'en prenait à quelqu'un d'autre, je ne le voyais pas, mais ils frappaient fort. Moi, je méritais une chose comme ça, mais certainement pas cette personne, j'ai couru vers eux frappant le premier à ma portée en criant à l'autre de s'enfuir.  
Ma diversion a fonctionné, vu que c'est vers moi qu'ils se sont retournés. J'ai eu de la chance que quelqu'un passe par là sinon je serais sûrement mort aujourd'hui, ils ont fui comme des lâches.  
Maintenant, je ne voulais plus mourir, mais détruire ces raclures et ceux de leur espèce, je sais pas, j’ai dû revoir la figure de mon beau-père en eux. Je ne voulais plus rester impuissant face à ce qui se passe autour de moi, je devais agir, suivre les traces de ma mère, aider les autres…  

J’ai commencé à retourner en cours, je ne pouvais rien faire si je restais seul sans aucune connaissance, j’ai aussi commencé à m’entraîner dans une salle de sport. Essayant d’apprendre seul à me battre, sans grand succès, mais je persévérai, me faisant défaire à chaque fois que je tentai de m’engager dans un combat amical. Puis un beau jour, un ancien boxeur professionnel passant dans la salle pour revoir des amis à lui, m’a remarqué, m’entraînant seul sur un sac de frappe dans mon coin. Je n’ai jamais vraiment su pourquoi, où ce qu’il a vu en moi ce jour-là, mais il m’a pris sous son aile et m’a appris à me battre avec mon esprit et mon corps. Alors je me suis entraîné pendant longtemps, écoutant tous ses conseils, il a remplacé le père que je n'avais jamais eu... La semaine, les cours, le soir et les week-ends, entraînement, ma vie est rapidement devenue une routine et je ne laissais que peu de temps aux interactions sociales, mais ça m'allait à l'époque.

Je me suis battu de nombreuses fois pendant ce temps, enchaînant victoires et défaites.  
Un jour, je suis retourné là-bas, ils étaient toujours au même endroit à se moquer des gens un peu différents, je me suis mis à l'autre bout de la ruelle et je les ai appelés. Ils se sont retournés vers moi et ont approché en se moquant de moi.
"Alors tu viens prendre une nouvelle raclée ? Ça te manquait ?"  
Je l'ai regardé sans rien dire et je lui mis un bon coup de boule, j'ai senti son nez se briser contre mon front et j'en étais heureux, il s’ensuivit un échange de coups où je mis les trois autres rapidement au tapis. L'un d'eux se retourna vers moi en crachant du sang et il bafouilla quelque chose que j'aurais préféré plus jamais entendre :  
"Ses...ses yeux !"  
Il était déjà trop tard pour le retenir alors j'ai essayé de le contrôler, et ça a marché, il est apparu devant moi, mais cette fois, il ne faisait pas plus de deux mètres ceux qui a suffi faire fuir les quatre brutes qui partirent en hurlant à l'aide. La fumée disparue comme elle était apparue et je fis demi-tour, fier de moi, mais j'ai vu seulement à ce moment-là que quelqu'un me regardait. J'ai paniqué et suis partit en courant.  
Si jamais elle raconte ça... Je n'osais même pas imaginer ce qui allait se passer.
 
J'ai arrêté de m'entraîner, je devais me faire oublier, ou il m’arrivera des problèmes...  
Et puis un jour, j'ai reçu une lettre, personne ne m'avait jamais écrit, l'expéditeur était : Académie Tsuki  
Le contenu disait que quelqu'un avait vu mon pouvoir et qu'on pouvait m'aider à le contrôler. Je me suis dit que ça pourrait être utile, j'avais réussi à le contrôler une fois, je pourrais peut-être m'en servir pour quelque chose d'utile.  
Et puis, plus grand chose rien ne me retenait ici, je suis allé m'expliquer rapidement avec mon entraîneur, je m'attendais à ce qu'il s'énerve ou autre. Au contraire, il était serein, il semblait même heureux, ce n'est que plus tard que j'ai compris qu'il était fier que je reprenne ma vie en main, que je reprenne une vie "normale". J'ai pris mes affaires et je suis parti sans rien laisser derrière moi, ne prévenant même pas ma tante.  



Je ne suis pas resté longtemps à Tsuki, seulement quelques mois après mon arrivée c'était Deviance qui attaquait et j'étais en plein cœur de tout ça... J'arrivai enfin à me poser, à avoir des relations normales avec des gens normaux, enfin presque, et puis ça a été le cauchemar...  
Je pensais avoir vécu l'horreur, je n'avais encore rien vu... j'ai vu des élèves que j'appréciais, des profs que je connaissais à peine, être abattus par les tirs des armes automatiques d'hommes avides de pouvoir... C'est-ce jour-là que j'ai eu le droit à ma jolie cicatrice à l'épaule, une balle traversant mon corps alors qu'on tentait de fuir... j'ai dû abandonner beaucoup de gens ce jour-là, je sais que je pouvais rien faire mais je m'en veux toujours, les tirs, les cris, les pleurs, les vitres qui se brisent... tout ça me hante toutes les nuits...  
Et comme si ça n'avait pas suffi, j'ai fait partie de ceux qui ont été capturés, on pensait être sauvés, on avait réussi à retenir et repousser les soldats de Deviance qui tentaient de prendre les dortoirs. Mais dans la dernière ligne droite, ils nous ont pris par surprise et en ont emmenés quelques-uns. Tant mieux d'un côté, au moins, j'ai pris la place de quelqu'un d'autre, mais avant d'être sauvé j'ai vu certaines choses... des choses que personne ne devrait voir...

De retour à Tsuki, tout le monde faisait comme tout allait bien, comme s'il ne s'était rien passé... Ça me rendait malade... voir les gens sourire alors que leurs camarades avaient été massacrés, je n'ai pas pu supporter... J'ai fui l'académie, je voulais que Deviance paye pour ce qu'ils ont fait et ni l'Agence ni l'académie ne semblait rien faire, le directeur n'a même pas parlé de ce qu'il s'est passé, c'est comme si ça n'était jamais arrivé, comme si ces gens n'avaient jamais été tués.  

Je suis retourné dans la salle de sport que j'avais quitté quelques mois auparavant, j'avais besoin de me défouler, de passer mes nerfs sur quelque chose... À côté de ça, j'essayais d'enquêter sur Deviance, mais les locaux où ils nous avaient enfermés ont été complètement nettoyés et je n'ai presque jamais trouvé d'indices. J'ai fini par abandonner mes recherches, je n'ai aucun talent d'enquêteur ni aucun contact, mais ça continue de me hanter.  

Avec le temps, j'ai réussi à mettre tout ça de côté, mais au fond de moi, j'ai toujours besoin de savoir et j'ai jamais été aussi bien qu'à mes débuts à l'académie... Ma vie est redevenue monotone, j'ai trouvé un petit travail pour pouvoir manger et je continuais à m'entraîner au combat pour m'occuper l'esprit. J'ai fini par recroiser mon mentor, qui fut surpris de me voir ici, après de longues discussions, essayant de faire attention à ce que je disais, il a réussi à me convaincre de retourner à l'Académie, il avait raison, j'avais juste besoin d'un coup de pouce pour me motiver à y retourner.  

J'ai recontacté l'académie qui a accepté de me reprendre, sous certaines conditions, je vais être surveillé de près, mais tant mieux, être proche de l'équipe encadrante me permettra d'apprendre ce que je veux savoir sur Deviance, enfin, j'espère...