Un tête à tête mouvementé [Pv Yumi J. - FIN]

Rappel du premier message :

Cela faisait quelques dizaines de minutes que j'étais sorti de l'Académie en compagnie d'une fille. Qui était-ce? Yumi, une nouvelle de cet établissement. Notre but? Aller manger... ensemble.

"Je pense que c’est une bonne idée, mais je serais obligée de te suivre, je ne connais rien à cette ville. Allons-y !"

C'est ce qu'elle avait dit en souriant comme si je venais de lui offrir ce qu'elle avait désiré depuis un certain temps. C'était gênant. D'autant plus que je devais lui servir de guide! Mais, malgré cela, je n'arrivais pas à trouver cela dérangeant. Quant à elle, il me semblait qu'elle s'amusait en marchant à mes côtés. Tant mieux pour elle. Perso, je préférais surveiller les alentours. Comme je le lui avais dit plus tôt, nous pouvions bien faire des rencontres. Je n'avais pas précisé si celles-ci seraient bonnes ou mauvaises.

Lorsque nous arrivâmes enfin dans le quartier communément appelé "touristique", ma vigilance s'accrue. Comme c'était là que j'avais pris l'habitude de voler, lorsque j'étais plus jeune, je me doutais que d'autres y avait pensé. De plus, bien que je ne le fis pas savoir, je vis plusieurs cas se produire tendis que je marchais machinalement vers mon ancien refuge. Que dirait l'aubergiste en me voyant?

Plus on s'approchait de l'objectif, plus les tentatives pour nous voler étaient nombreuses, bien que discrètes. Je pris donc la main de Yumi et durcis mon regard pour leur signifier que, s'ils tentaient quoi que ce fut, ils allaient s'en mordre les doigts. Je ne fis pas attention au fait que la jeune fille puisse être gênée par ce contact. Pour moi, je la protégeais simplement. Et ce, jusqu'à ce que nous fûmes devant une simple porte en bois vieilli par le temps. Lorsque je l'ouvris, elle grinça avant de laisser place à un espace animé fait de bois principalement. L'ambiance joyeuse qui régnait me rappela beaucoup de souvenirs. En regardant dans notre direction, l'aubergiste me vit et faillit laisser tomber le verre qu'elle essuyait en s'exclamant :

- Y-Yasushi?! Toi ici? Et accompagné qui plus est? Ben ça alors! Si je m'attendais... Entrez donc, et venez vous asseoir!

La réaction bienveillante de la vieille dame me fit sourire franchement. C'est avec ce dernier que je me tournai vers ma camarade pour lui dire :

- Elle ne changera jamais... Aller, viens.

Puis je l'entraînais vers le bar vers lequel je comptais m'installer.

Elle souriait. Pas de peur. Pas d'angoisse. Ni de stress. Elle souriait comme si elle était contente de ce que je lui proposais. J'avais l'impression qu'elle ne se posait pas trop de question sur la suite. Je fus légèrement démentis lorsqu'elle me répondit :

- Evidemment que ça me dit ! Alors, dis-moi tout, qu’allons-nous faire ?

Devais-je être désespéré, amusé ou stoïque devant sa confiance en moi? Bien que j'aille dans la même école qu'elle, qu'est-ce qui lui disait que je ne l'avais pas amenée ici pour la voler? Qu'est-ce qui lui donnait l'envie de me faire confiance? Et si je lui avais mentis, que ferait-elle?
Je me mis à regarder l'endroit, tout autour de moi, en lui donnant sa réponse :

- Nous allons commencer par te mettre dans la peau d'un orphelin de rue. Posons ton sac dans un coin, il risque de te gêner. Ne t'inquiète pas, ajoutai-je en la regardant, l'endroit est sûr.

Je fis une pause pour lui laisser le temps de poser son sac de cours. J'en profitai pour la regarder dans ses manières de faire. J'avais l'impression d'être devant une princesse. Ses gestes étaient si fluides, et réalisés avec grâce... Même sa marche me donnait l'impression qu'elle glissait sur le sol. Je devait donner l'impression d'être un manant à ses côtés.
Laissant de côté mes pensées, je repris :

- Lorsque nous aurons réussis à te mettre dans la peau des orphelins, nous passerons à des exercices simples et très démonstratifs. Enfin, nous observerons. Bon, ça se fera peut-être pas en une journée, mais nous pouvons commencer maintenant si ça te gêne pas de rater plus de cours.

Je lui avais tout dit sans entrer dans les détails. Je n'aimais pas faire de longues explications, et encore moins parler seul pendant longtemps. J'avais toujours l'impression de perdre du temps précieux à faire autre chose.
Je réfléchis un instant à mes horaires de travail hors cours. J'avais de la chance, ce jour-là je ne travaillais pas. Je souris donc encore à Yumi pour lui demander :

- Ça t'irait comme programme? Ou tu veux changer d'avis? Si c'est le cas, je ne t'en voudrais pas. Ce n'est pas facile de se mettre à notre place.

Je lui fit un clin d'oeil avant de regarder en direction de l'entrée de la planque. Une simple bouche d'égout. J'espérais que les mômes ne fassent pas leur entrée à ce moment-là, mais une fois que nous aurions commencé, plus tard.

Il avait regardé tout autour de lui. Un peu comme moi, en fait.

- Nous allons commencer par te mettre dans la peau d'un orphelin de rue. Posons ton sac dans un coin, il risque de te gêner. Ne t'inquiète pas, dit-il en me regardant, l'endroit est sûr.

Je n’étais pas rassurée de poser mon sac dans la rue. Mais s’il disait que ça ne craignait rien… Il devait avoir raison. Alors, je posai mes affaires au sol. Je ne savais pas pourquoi, mais ma confiance en lui était presque aveugle. Ce n’était pas très prudent, mais il m’avait inspiré quelque chose de bon. J’étais probablement inconsciente.

- Lorsque nous aurons réussis à te mettre dans la peau des orphelins, nous passerons à des exercices simples et très démonstratifs. Enfin, nous observerons. Bon, ça se fera peut-être pas en une journée, mais nous pouvons commencer maintenant si ça te gêne pas de rater plus de cours.

Il fit une courte pause, puis reprit.

- Ça t'irait comme programme? Ou tu veux changer d'avis? Si c'est le cas, je ne t'en voudrais pas. Ce n'est pas facile de se mettre à notre place.

Rater des cours ? Je n’irais pas jusqu’à dire que ce serait un plaisir, mais… Presque, en somme. Sûrement parce que la discipline à laquelle je devais me plier était trop stricte, ou parce que j’avais envie de rester avec lui. Et, changer d’avis ? Pourquoi cela ?
Il me fit un clin d’œil qui me fit sourire, et regarda vers une bouche d’égout. Ca, je devais avouer que je ne m’y attendais pas. Mais je ne reculerais pas, jamais ! D’un air déterminé, je lui répondis.

- Prête ! Et j’y passerai le temps qu’il faudra.

J’étais on ne peut plus sérieuse. Je resterai tant que je n’aurai pas réussi. D’abord parce que ça m’intéressait, mais aussi parce que je voulais les comprendre. J’étais prête à tout ce qu’il faudrait faire. Je devais paraître étrange, mais tant pis. J’allais y arriver ! Je souris à Yasushi, prête à entendre les premières indications. J’avais même hâte qu’il commence.

- Prête ! Et j’y passerai le temps qu’il faudra.

Elle n'avait vraiment pas froid aux yeux. Ça me plaisait et ça m'impressionnait. Elle devait vraiment penser ce qu'elle m'avait dit : qu'elle voulait mieux nous connaître. Je voulais donc qu'elle imagine notre état d'esprit. Je lui fis :

- Alors, avant toute chose, il faut que tu imagine que tu viens de tout perdre. Tu ne peux avoir confiance en personne car tu as peur qu'il t'arrive quelque chose de grave. Quand un adulte tente de t'approcher, tu prends peur et tu fuis. Quand tu as faim, tu ne sais pas quoi faire. De plus, tu n'es pas plus haute que trois grosses pommes. Tu as donc du mal à t'empêcher de penser à la vie que tu as soit abandonnée, soit qui t'a été volée. Tu repense aux parents que tu n'as plus et que tu chérissais. Tu pense au foyer qui t'a vu grandir. La faim, la soif, le froid et la solitude sont tes principaux "amis", si je puis dire.

Je me tus, le temps de la laisser imaginer tout ce que je venais de lui dire. Ce ne devait pas être facile. J'en était conscient. Mais, sans savoir ce qu'elle pensait, je ne pouvais pas faire grand chose pour elle. Je me contentais donc de repenser à mon arrivée là. Il avait fait froid. C'était la nuit. Je venais d'assister à l'enterrement de ma mère pendant lequel mon père avait été extrêmement odieux. C'était comme s'il n'avait aucun regret. C'était effrayant, mais tout aussi révoltant. J'étais partis de mon ancien foyer pour ne pas vivre avec un démon. Mais je n'avais pas imaginé que la vie dans la rue pouvait être aussi difficile. Personne ne fait confiance à qui que ce soit. Les plus faibles sont mis à part. Les gamins se volent entre eux et se bagarre pour un rien aux yeux de ceux qui ne connaissent rien. Nous devons faire attention aux forces de l'ordre qui connaissent de mieux en mieux les petites ruelles dans lesquelles nous nous cachons. Certains, comme moi et mon groupe, trouvent refuge dans les égouts.Mais, là encore, ce n'est pas sans risques. Lors de la montée des eaux nous sommes très vulnérables et nous pouvons tomber sur des autorités autres que la police. Je ne vous parle même pas des conditions de vie. Au début c'est l'horreur!! Mais, quand nous y sommes habitués, on peut considérer ce labyrinthe comme notre chez nous. Il faut juste un minimum d'organisation. De plus nous n'y restons pas constamment non plus. Nous essayons de trouver un juste milieu. De plus, certains d'entre nous pouvons trouver refuge chez Berth en cas de problème. Et ça c'est une vrai chance, mine de rien.

- Alors, avant toute chose, il faut que tu imagines que tu viens de tout perdre. Tu ne peux avoir confiance en personne car tu as peur qu'il t'arrive quelque chose de grave. Quand un adulte tente de t'approcher, tu prends peur et tu fuis. Quand tu as faim, tu ne sais pas quoi faire. De plus, tu n'es pas plus haute que trois grosses pommes. Tu as donc du mal à t'empêcher de penser à la vie que tu as soit abandonnée, soit qui t'a été volée. Tu repense aux parents que tu n'as plus et que tu chérissais. Tu penses au foyer qui t'a vu grandir. La faim, la soif, le froid et la solitude sont tes principaux "amis", si je puis dire.

Au fur et à mesure de ses paroles, je commençai la visualisation. J’avais fermé les yeux, pour me faciliter le travail. Les seuls rues que je connaissais étaient celles de mon village au Japon. Et encore, je ne les avais pas vraiment explorées.
Tout perdre. J’imaginai que mes parents avaient des tendances à punir de façon violente et m’avaient expulsée de chez moi. C’était la première chose qui m’était venue à l’esprit, un « Pars, on ne veut plus de toi, tu ne mérites pas cette vie, enfant indigne ». J’étais petite, dans un kimono qui ne tenait pas chaud. C’était la nuit, et dans la journée je n’avais pas réussi à réaliser quelque chose que mes parents auraient voulu. Je n’aurais pas dû pouvoir imaginer tout ça aussi facilement, mais… Mes parents avaient été tellement horribles que ça me laissait un bon départ.
Fuir. Je fuyais les adultes. Une enfant apeurée, trahie par ses parents, fuyant toute personne beaucoup plus âgée qu’elle de peur d’avoir des problèmes. Je me cachai loin de leur vue. Ce n’était pas bien difficile, comme j’habitais à la campagne.
Faim, soif et froid. Rien pour se nourrir, le ventre vide et la gorge sèche. Je ressentais tout ce que j’imaginais. Je tremblais même de ce froid imaginaire.
La solitude. J’étais seule. Je détestais ça, depuis toujours, et m’imaginer seule et affamée… Seule après avoir vécu dans une maison, entourée. J’en avais presque les larmes aux yeux. Doucement, après avoir eu fini d’imaginer tout ce qu’il m’avait dit, je rouvris les yeux, sans oser le regarder en face. J’étais honteuse pour tout ce que j’avais imaginé, et triste à l’idée qu’il ait en partie vécu tout ça. Après ma séance d’imagination, je ne pus pas sourire joyeusement. Jouant avec les pans de ma veste, je lui dis :

- Je suis prête, j’ai bien senti ce que ça faisait. Continuons.

Je levai les yeux vers lui, prête à entendre la suite.

- Je suis prête, j’ai bien senti ce que ça faisait. Continuons.

J'étais surpris par la vitesse avec laquelle elle avait réussis à visualiser, et même à ressentir (je l'avais vue trembler et sourciller) ce que je lui avait décrit. J'étais content qu'elle comprenne vite et qu'elle ait des facilités à nous comprendre. Mais j'étais un peu peiné de la voir mal à l'aise vis-à-vis de ça... Elle ne souriait plus et elle jouait avec sa veste. Je ne voulais pas la forcer à faire cet exercice. D'autant plus qu'il allait devenir plus pénible encore. Je lui demandais donc :

- T'es vraiment sûre de vouloir continuer?

- Certaine ! me répondit-elle avec un regard dans lequel brillait une grande volonté malgré la douleur qu'elle semblait subir.

Je soupirais bruyamment en montrant que je commençais à être désespéré, sans l'être véritablement. Puis, je continuai :

- Bon, dans ce cas... Imagine maintenant que tu rencontre un groupe d'enfants qui ont plus ou moins ton âge. Ils sont sales. Ils sentent mauvais. Leurs vêtements sont usés, pleins de poussière et troués par endroits. Ils sont maigres et leurs visages expriment de la douleurs, de la colère et du dégoût. Chacun ressent cette rencontre différemment. Perso, j'étais très mal à l'aise et j'avais peur. Ces enfants te dépouillent du peu d'affaires que tu as pu emmener avec toi, te laissant seulement tes habits et tes chaussures. Quoi que... pas toujours. 'Fin, bref! Brièvement, ils t'expliquent comment se déroule la vie dans la rue avant de t'abandonner à ton sort, à te voler, à te taper... à te bouffer tant que tu ne te décide pas à te battre pour ta survie.

Je décidai de m'arrêter là, jugeant que le jeu pourrait commencer à partir de là. Les mômes ne s'étaient pas encore montrés. Certainement nous observaient-ils dans l'ombre. Du coin de l'oeil, je veillais sur les affaires de mon invitée. Quelques nouveaux venus dans mon groupe avaient du mal à suivre mes conditions et je n'étais pas là pour les surveiller depuis mon arrivée à l'académie.
Une fois encore, je laissais le temps à la jeune fille de visualiser ce que je venais de lui raconter avant d'annoncer :

- Bon, nous allons pouvoir passer au jeu. Ce n'est pas compliqué et ce n'est pas contre les règles. Nous allons créer une étalage de fortune, avec un drap et tes affaires. Je ferais un marchand et tu devras me prendre une de mes "marchandises". Qu'en dis-tu?

Un bruit résonna dans la rue. La plaque d'égout venait de s'ouvrir et de se refermer. Devant, une couverture avait été déposée. Je souris. Ainsi, ils nous observaient bel et bien. J'étais content qu'ils m'aident à leur façon.

- T'es vraiment sûre de vouloir continuer?

Je devrais avoir peur de la suite ? Sûrement. Mais je voulais continuer, peu importe ce qu’il me réservait.

- Certaine !

Il soupira. Il allait penser que j’étais complètement maso. C’était même certain. A moins que je ne le désespère, comme son soupir le laissait penser. Cependant, il continua.

- Bon, dans ce cas... Imagine maintenant que tu rencontre un groupe d'enfants qui ont plus ou moins ton âge. Ils sont sales. Ils sentent mauvais. Leurs vêtements sont usés, pleins de poussière et troués par endroits. Ils sont maigres et leurs visages expriment de la douleurs, de la colère et du dégoût. Chacun ressent cette rencontre différemment. Perso, j'étais très mal à l'aise et j'avais peur. Ces enfants te dépouillent du peu d'affaires que tu as pu emmener avec toi, te laissant seulement tes habits et tes chaussures. Quoi que... pas toujours. 'Fin, bref! Brièvement, ils t'expliquent comment se déroule la vie dans la rue avant de t'abandonner à ton sort, à te voler, à te taper... à te bouffer tant que tu ne te décide pas à te battre pour ta survie.

Je fermai à nouveau les yeux, prête à me relancer dans mon histoire. Mes parents m’avaient donc mise à la porte alors que je n’étais qu’une enfant. Bien. Continuons. Je marchais dans les rues du village, seule, triste et apeurée. Je croisai un groupe de petits de mon âge, dehors depuis bien plus longtemps. Bien plus sales. Bien plus maigres et, malheureusement pour  moi, expérimentés. Ils me regardaient avec une expression de colère et de supériorité. Ils s’approchent et me font tomber au sol. J’étais sensée avoir de la force, mais j’en avais perdu toute once. Je les regardais, terrorisée. Ils me disaient que je n’ai qu’à m’habituer, que la vie serait toujours comme ça, dorénavant. Que la tranquillité faisait partie de mon passé. Et ils me prenaient mes chaussures et les quelques vêtements que j’avais pu voler en douce chez moi avant qu’ils ne s’enfuient. Et le lendemain, j’en croisais d’autres qui firent comme les précédents, mais plus violents. Et tous les jours, jusqu’à ce que je reprenne de la force, juste pour survivre.
Je rouvris les yeux, regardant Yasushi le plus normalement possible, bien qu’il avait pris un tout autre statut dans mon esprit. Il avait vraiment eu du courage, de la force. Pourquoi s’en voulait-il d’être violent, s’il avait dû le devenir pour survivre ? Il ne le devrait pas, se blâmer pour avoir tenté de survivre, ça ne servait à rien.

- Bon, nous allons pouvoir passer au jeu. Ce n'est pas compliqué et ce n'est pas contre les règles. Nous allons créer une étalage de fortune, avec un drap et tes affaires. Je ferais un marchand et tu devras me prendre une de mes "marchandises". Qu'en dis-tu?

Voler ? Je n’avais jamais essayé. J’allais sûrement être nulle, mais je voulais essayer. Et j’essaierais sûrement tant que je n’y arriverais pas. Mais, ce qui était sûr, c’était que la discrétion n’était pas mon fort.
Un bruit se fit entendre dans la rue, et je remarquai qu’une couverture avait été posée devant une bouche d’égout. Je trouvai ça terriblement mignon que les enfants - car, il fallait être réaliste, ça n'avait pu être qu'eux - aient écouté et aidé leur protecteur. Je souris, attendrie, et regardai mon ami.

- Je vais sûrement être nulle, mais j’ai hâte d’essayer !

Après que le bruit eut résonné dans notre espace, Yumi me répondit :

- Je vais sûrement être nulle, mais j’ai hâte d’essayer !

En allant chercher le morceau de tissu couleur taupe, plein de poussière, que nous utilisions comme couverture, je fus assaillis d'un doute.

Mince... Je ne lui ai pas demandé ce qu'elle a imaginé à partir de ce que je lui ai raconté... Et si jamais elle ne comprenais pas? Que dois-je faire?

Tout en me posant des questions sur ce qu'elle avait bien pu imaginer, je me mis à mettre en place mon "espace de vente". J'avais pris la couverture pour la placer à l'opposée de la plaque d'égout. En passant près de celle-ci, j'avais murmuré aux mômes qui m'écoutaient certainement qu'ils pourraient faire leur apparition quelques minutes après le top départ du jeu. Ensuite, je pris le sac de ma camarade et retirait devant elle quelques livres et crayons pour les déposer sur la couverture. J'y mis également ma veste.

- Raconte-moi un peu, Yumi, qu'as-tu imaginé pendant le premier exercice? Tu as des questions à ce propos?

J'espérais qu'elle ne trouve pas mes questions stupides. Mais une bonne compréhension de la situation était importante pour la réussite du jeu. Sans volonté, persévérance ou lorsqu'on ne connaît pas la misère, on se fait toujours prendre. C'est ce que m'ont appris mes trois longues années de souffrance avant de commencer les dix autres avec plus de force et de débrouillardise. Les enfants dont je m'occupais savaient voler. Je le savais puisque je les avais rencontrés en les prenant sur le fait. C'est alors que je leur proposais un marché après leur avoir demandé s'ils étaient fiers de ce qu'ils faisaient et pourquoi. En fait, je cherchais à savoir si je pouvais les aider. S'ils acceptaient que je les aide. Pour certains, les premiers surtout, la démarche fut très longue. Mais, avec un peu de recul, d'empathie et de démonstrations, j'avais réussis à réunir une dizaines de gosses qui, finalement, ne demandaient qu'à vivre plus ou moins paisiblement. J'avais peur que mon absence ne leur porte préjudice...

- Je sais que ça a l'air idiot, de te demander ça maintenant, lui dis-je en rougissant et en regardant le sol en fronçant les sourcils, mais c'est important pour la suite. Je ne peux pas te dire pourquoi puisque tu dois trouver les réponses par toi-même. Mais ne t'en fais pas. Tu auras de l'aide.

Je voulais rester un peu mystérieux pour lui faire une surprise. Il me semblait tout de même que j'étais bavard. Peut-être trop même!

Yasushi alla chercher la couverture devant la bouche d’égout, puis il la déplia au sol, y déposant des livres, des crayons et sa veste. Je le regardais faire en me demandant comment je pouvais arriver à prendre quoi que ce soit.

- Raconte-moi un peu, Yumi, qu'as-tu imaginé pendant le premier exercice? Tu as des questions à ce propos?

Je me demandai ce qu’il penserait de moi, si je lui disais tout ce que j’avais imaginé. Il me trouverait peut-être bête. Ou pas. Je ne savais pas. Je n’eus pas le temps de plus y réfléchir qu’il reprit.

- Je sais que ça a l'air idiot, de te demander ça maintenant, mais c'est important pour la suite. Je ne peux pas te dire pourquoi puisque tu dois trouver les réponses par toi-même. Mais ne t'en fais pas. Tu auras de l'aide.

Il avait rougi et regardé le sol. Il était gêné ? Pourquoi ? Ce n’était pas idiot du tout, en plus. Je m’approchai de lui pour lui dire ce que j’avais visualisé. Je n’avais pas envie de crier à dans la rue à qui voulait bien l’entendre que mes parents étaient des gens ignobles.

- J’ai imaginé que j’avais été trahie par des parents plus ou moins violents, et que du coup, j’avais peur des autres adultes. Que j’étais habillée d’une tenue qui ne tenait pas chaud, en pleine nuit, et… que j’avais peur.

Je baissai les yeux. En parlant de ça à voix haute, je revoyais les images que j’avais visualisées plus tôt.

- J’étais seule, pour la première fois. Dans un village, en pleine nuit. Seule, affamée. Puis j’ai imaginé que d’autres enfants, aussi petits que moi, étaient venus me voler mes chaussures et les quelques affaires que j’avais pu emporter. Puis que d’autres étaient venus, eux aussi. Que tous les jours, ils venaient, et… Qu’il fallait que je reprenne un peu de forces. Pour survivre. Sans quoi, c’était… la fin. Voilà.

Je relevais les yeux vers lui, me grattant la tête. Je me sentais honteuse, d’avoir dit tout ça. Lui, il l’avait vécu. Est-ce que j’avais une question ? Je ne savais pas trop. En fait, c’était surtout des questions sur la façon dont ils avaient pu survivre. Est-ce que je pouvais lui demander… Je…

- Yasushi, dis-je en regardant autre chose que son visage, comment… Comment tu as eu la force de te battre ? Je veux dire, de… De vouloir survivre, et de lutter contre eux ?

Je n’osai plus le regarder. C’était une question stupide. Et sûrement qu’il n’avait pas envie de repenser à ça. J’étais trop bête. Je n’aurais jamais dû demander ça, et surtout comme ça !

- En fait… Oublie-ça, ce n’est pas grave. Désolée. Ce n’est pas la peine que tu y repenses.

Même mes excuses paraissaient suppliantes. Je me faisais pitié. J’espérais qu’il ne le prendrait pas mal, et qu’il n’aurait pas été blessé…

Je fus content qu'elle me réponde, mais je me sentis coupable lorsque je la vis être de plus en plus mal à l'aise en parlant :

- J’ai imaginé que j’avais été trahie par des parents plus ou moins violents, et que du coup, j’avais peur des autres adultes. Que j’étais habillée d’une tenue qui ne tenait pas chaud, en pleine nuit, et… que j’avais peur. J’étais seule, pour la première fois. Dans un village, en pleine nuit. Seule, affamée. Puis j’ai imaginé que d’autres enfants, aussi petits que moi, étaient venus me voler mes chaussures et les quelques affaires que j’avais pu emporter. Puis que d’autres étaient venus, eux aussi. Que tous les jours, ils venaient, et… Qu’il fallait que je reprenne un peu de forces. Pour survivre. Sans quoi, c’était… la fin. Voilà.

Je lui fis signe que c'était ça avec un mouvement de tête. Elle avait résumé la situation et avait apparemment imaginé ce qu'il fallait. L'avait-elle aussi ressentit? Ce n'était pas impossible et cela expliquerait pourquoi elle n'avait plus l'air dans son assiette.
Elle me regarda pour ensuite dévier son regard ailleurs en me parlant :

- Yasushi, comment… Comment tu as eu la force de te battre ? Je veux dire, de… De vouloir survivre, et de lutter contre eux ?

Tiens, comment avais-je fait? Je ne m'étais jamais posé la question et je trouvais intéressant d'y réfléchir. Pourtant, elle se ravisa :

- En fait… Oublie-ça, ce n’est pas grave. Désolée. Ce n’est pas la peine que tu y repenses.

Je pouffai brièvement avant de lui dire en souriant :

- T'inquiète pas. Y repenser ne me dérange pas. Mmh... Comment ai-je fait? Je dirais que j'avais la volonté de vivre. Si je suis partis de chez moi c'était pour sauver ma peau. Je n'allais donc pas crever là. Quoi que je dis ça mais... j'ai mis trois ans avant de vraiment me bouger le cul.

Je lui souris avant de lui donner les consignes du jeu :

- Bon! Sinon, les règles sont simples. Je vais jouer au marchand. Je vais donc me comporter comme tel. Toi, tu es cette orpheline que tu as imaginée et il faut absolument que tu dégotte un truc pour avoir ta part de nourriture. Alors, il faut que tu prenne quelque chose, sans que je te remarque. D'habitude, il y a de la foule, donc je vais fermer les yeux pour commencer. D'accord?

Il pouffa un peu. J’avais été bête de m’inquiéter, alors ? Hm. Je pensais que tout ce qui se rapportait à cette époque était douloureux pour lui, mais dans le fond… Peut-être que je réfléchissais trop.

- T'inquiète pas, répondit-il alors que je relevai les yeux vers lui. Y repenser ne me dérange pas. Mmh... Comment ai-je fait? Je dirais que j'avais la volonté de vivre. Si je suis partis de chez moi c'était pour sauver ma peau. Je n'allais donc pas crever là. Quoi que je dis ça mais... j'ai mis trois ans avant de vraiment me bouger le cul.

Ce qu’il disait était totalement logique, en effet. Mais, comment avait-il pu tenir trois ans ? De ce que je m’imaginais, c’était impossible. Mais je ne lui demanderais pas, parce que sinon, j’allais encore détourner le regard. C’était étrange, mais j’étais plus gênée que lui de parler de ça.
Il me sourit, puis m’expliqua les consignes.

- Bon! Sinon, les règles sont simples. Je vais jouer au marchand. Je vais donc me comporter comme tel. Toi, tu es cette orpheline que tu as imaginée et il faut absolument que tu dégotte un truc pour avoir ta part de nourriture. Alors, il faut que tu prenne quelque chose, sans que je te remarque. D'habitude, il y a de la foule, donc je vais fermer les yeux pour commencer. D'accord?

Je n’allais jamais réussir. On aurait pu penser que s’il fermait les yeux, ce serait gagné d’avance, mais je me méfiais. Il avait dû développer une sorte de sixième sens. En d’autres termes, c’était perdu d’avance pour moi. Mais j’allais essayer, encore et encore !

- Prête !

J’avais un regard déterminé, prête à démarrer. Il s’était assis sur la couverture, devant l’étalage de nos affaires. L’espace d’un instant, je le regardai. Il avait l’air si doux, avec les yeux fermés. Mais il ne fallait pas que je me laisse déconcentrer. Allez, on se bouge !
D’abord, je tentai de m’approcher lentement de l’étalage, en faisant le moins de bruit possible. Au début, ça marchait. Je m’avançai, et il ne semblait rien entendre. Puis quand je m’étais assez rapprochée, il m’avait entendue. Il ouvrit les yeux en souriant. Raté. C’était à cause de mes chaussures, elles faisaient trop de bruit contre le sol. Est-ce que je pouvais les enlever ? Ca allait paraître étrange. J’attendis qu’il ferme à nouveau les yeux pour repartir de mon point de départ. Là, je réfléchis encore un peu. J’avais des chaussettes. Alors… Ce n’était pas si grave si… Non ? Non. Allez. Il allait me prendre pour une folle, mais tant pis.
Mes chaussures enlevées, je réessayai. J’avançai tout aussi lentement, mais en faisant moins de bruit. J’arrivai à m’approcher des objets. Je tentai de saisir la veste, mais Yasushi me saisit le poignet avant. Encore raté. Je ne le regardai pas, appréhendant sa réaction quant à mes chaussures. Je supposai qu’il fallait être plus rapide. Mais si j’étais plus rapide, je ferais plus de bruit.

Un bruit retentit dans la rue. C’était la plaque d’égout ? En voyant plusieurs enfants en sortir, je fus surprise. Ils avaient l’air jeunes ! Le plus vieux devait avoir, au grand maximum, le même âge que moi. J’étais contente de les voir, mais… Ils étaient si nombreux ! Jamais je ne pourrais réussir à prendre quelque chose à Yasushi si ils étaient autant ! D’autant plus que eux, ils avaient vraisemblablement plus d’expérience que moi.
Je regardai Yasushi. Il avait ouvert les yeux. Ça n’allait pas être facile, mais… Il allait falloir que je me serve de la foule pour l’avoir. J’allais réessayer, et je finirais bien par y arriver.

- Prête !

L'était-elle réellement? Je n'aurais su le dire. Mais son regard exprimait une détermination qui me plaisait. Avec la patience et la ruse, c'était une des clés de la réussite, si je pouvais dire. Je fermai donc les yeux, me focalisant sur les sons. Même le plus petit bruit pouvait être important dans ce cas de figure. C'est pour cela qu'on utilisait souvent la foule pour s'aider. Mais, là, ce n'était pas vraiment possible, malheureusement.
Dans cet espace quasiment clos, et totalement vide, chaque son était amplifié. Alors, quand la jeune fille commença à s'approcher, je l'entendis. Mais je ne réagis pas. Je fis comme s'il s'agissait d'un passant. Mais, lorsqu'elle fut plus près, j'ouvris les yeux. Ce n'était pas la peine de la faire aller plus loin. Elle n'y arriverait pas de toute façon.
Nous recommençâmes. J'avais fermé les yeux à nouveau. J'attendis un moment avant d'entendre un son. Ce fut le froissement de tissu qui me fit ouvrir les yeux avant d'agripper le poignet de l'apprentis voleuse. Je lâchai prise en souriant. Ce n'est que lorsqu'elle reprit place que je compris pourquoi je ne l'avais pas entendue approcher : elle avait enlevé ses chaussures. La ruse. Elle avait au moins deux des trois clés. La troisième n'était pas vraiment obligatoire. Moi-même n'étais que très peu enclin à la patience. Pourtant, j'avais survécu.

La plaque d'égout fut déplacée. Le boucan qu'elle fit était reconnaissable entre mille. Les enfants avaient décidés qu'il était temps pour eux de se montrer et de faire découvrir leur talent. J'espérais qu'ils feraient un effet de foule. Je décidais donc de ne pas garder tout le temps les yeux fermés. Sinon, j'étais certain qu'elle réussirait. Vu le boucan que la marche de tous ces gamins faisait, ce n'était pas juste que je reste avec les yeux fermés, non mais!
L'exercice reprit sans que j'eus à donner un top départ : ils se mirent à marcher un peu partout en se toisant du regard, en me surveillant, et en regardant mon amie. Comment allait-elle réagir à cette situation? Allait-elle faire preuve de ruse? Je ne le savais pas. Je ne voyais pas ce qu'elle faisait car il y avait comme qui dirait des passants. Mais, elle, parvenait-elle à m'observer?

Les enfants étaient plein, et, du haut de mon mètre cinquante-huit, je ne voyais plus grand-chose. Mais j’étais sûre d’une chose : l’effet de foule pourrait m’aider. Je pensai à me mettre à quatre pattes, mais si les enfants bougeaient, ça ne m’aiderait pas. A vrai dire, le fait que l’étalage soit à même le sol était plutôt contraignant. Cependant, je faisais la même taille que certains des enfants, ce qui pouvait m’avantager. Mais après ?
Toujours en chaussettes – marcher pieds nus, c’est dangereux, mais plutôt agréable et discret – je m’approchai des affaires. Je me baissai, profitant de deux enfants qui passaient à côté, et tentai de saisir la veste à nouveau. Et en jetant un regard à Yasushi, je vis qu’il m’avait vue. Mauvaise technique. Ou plutôt, mauvais objet ? Si je tentais de voler un stylo, ce serait bien plus discret !
L’air de rien, je continuai de marcher. Et je recommençai avec la même façon de faire. Malheureusement, je ratai encore. Et j’eus une idée. En passant derrière discrètement ? Peut-être que ça marcherait ? Je regardai où allaient les enfants. Bon, aucun n’allait derrière lui ? Tant pis, il fallait bien que je tente ma chance. Je longeai les murs, de sorte à ce qu’il oublie ma présence au moins une minute et passai derrière lui. Je tendis la main pour attraper un stylo, mais il posa la sienne sur mon bras. Encore raté. Cette fois, je décidai de changer radicalement de tactique.
Je retournai devant lui et me penchai pour regarder. Je tentais de sembler le plus naturel possible, et j’attachai même mes cheveux en un chignon pour faire comme si de rien n’était. Et en plus, ça me permettait d’être moins remarquée quand je passais. J’étais donc penchée, face à lui, regardant toutes les affaires posées entre nous. Laquelle prendre ? Je m’assis face à lui. Je faisais tout pour avoir l’air calme et tout à fait normale. Peut-être que comme ça, ça irait ? Je l’observais. A quel moment regardait-il ailleurs ? Vraisemblablement, s’il jouait un marchand, il regardait forcément ailleurs quand quelqu’un essayait de lui voler quelque chose. Alors je n’avais plus qu’à attendre qu’un des petits – enfin, pour certains plus que d’autres – essaie de lui prendre quelque chose !
J’attendis un peu. Et un des petits s’approcha. Puis deux. L’un des deux n’avait pas été discret, et Yasushi dut tourner le regard un instant. Là ! Maintenant ! Je me dépêchai de saisir un stylo, le plus proche de moi. Je me dépêchai de le cacher dans mes mains jointes. J’avais réussi ? Genre, vraiment ?
Avec des yeux ronds, je regardai mon camarade. A une seconde près, c’était trop tard. J’avais envie de sauter en hurlant, mais je ne voulais pas faire peur à tous les enfants. Je me contentai de sourire, en attendant qu’il remarque quelque chose.

Les essais, comme les échecs, se multipliaient. J'espérais que l'exercice n'était pas trop difficile pour la jeune fille en qui j'avais peut-être placé trop d'espoirs. Pourtant, j'étais certain qu'elle allait réussir. Surtout en la voyant changer de tactique en fonction de son environnement. Elle tenta tout : se fondre dans la masse, changer de cible, passer derrière moi... Venant de quelqu'un qui avait enlevé ses chaussures pour faire moins de bruit, je n'étais pas très étonné. Ce qui me surpris, c'est la rapidité avec laquelle elle usa la ruse jusqu'au point de paraître fourbe. Mais ça n'en restait pas moins la technique que la plupart des orphelins utilisaient. Je me sentais fier d'elle et elle semblait l'être aussi. Elle me sourit et je fis de même avant d'annoncer :

- Le jeu est terminé! Merci pour votre aide les mômes!

Certains me saluèrent simplement, d'autres rouspétèrent quant à leur surnom, et quelques uns vinrent me faire un câlin avant de repartir en courant. Je remis les affaires de mon amie dans son sac et le lui rendis. Je remis ensuite ma veste avant de lui proposer :

- Maintenant que tu as vu par toi-même la difficulté de l'exercice, que dirais-tu de passer à l'étape suivant : l'observation?

J'attendis qu'elle me réponde positivement, reprenne ses affaires, sans oublier ses chaussures, avant de lui prendre la main et de l'entraîner à travers les ruelles.
Quelques minutes de marche plus ou moins nécessaire plus tard, nous arrivâmes devant une rue très animée. Des stands étaient ouverts et proposaient toutes sortes de produits, allant du fruits&légumes aux appareils électroniques. Je ne m'y engouffrai pas, préférant regarder de loin ce qui se passait. Avec mon expérience je repérai les enfants qui vivaient chaque jour dans la rue et qui devaient voler leur nourriture. Je les désignai silencieusement à mon amie avant de lui expliquer :

- Je pense qu'ils vont tenter de s'en prendre au gros bonhomme qui vend des fruits. On l'appelle affectivement "la proie" ou "la cible", car il s'agit du commerçant le plus simple à voler. Tous les débutants passent par lui. Moi aussi, mais j'étais si peu... enclin à voler, que j'ai failli me faire attraper plusieurs fois sans rien chopper.

Je n'étais pas fier. Ni d'avoir volé, ni de mes expériences douteuses. Mais, comme elle avait voulu savoir, je lui racontais ce que je savais.

Il me sourit aussi. J’étais sûre qu’il était content que j’aie réussi, et sincèrement, ça me faisait très plaisir.

- Le jeu est terminé! Merci pour votre aide les mômes!

En regardant tous les enfants saluer, faire un câlin à Yasushi ou râler, je me rendis compte qu’ils étaient un vrai ensemble. Puisque mon ami ne voulait pas qu’on les appelle une famille, alors soit. On aurait pu dire qu’ils ressemblaient à une classe, avec un professeur qu’ils aiment tout particulièrement pour certains, que d’autres apprécient sans plus… Mais ils étaient liés, en tout cas.
Il rangea ensuite toutes mes affaires et remit sa veste.

- Maintenant que tu as vu par toi-même la difficulté de l'exercice, que dirais-tu de passer à l'étape suivant : l'observation?

Ça risquait d’être intéressant ! Je hochai la tête positivement, repris mon sac, remis mes chaussures, et il m’entraîna de nouveau vers les ruelles. Je n’avais jamais vu autant de ruelles en une journée, et c’était vraiment dommage que je n’aie aucune mémoire pour ça.
Après quelques minutes, nous arrivâmes devant une rue bondée. Encore une fois, j’étais impressionnée par le nombre de gens qu’il y avait. Etait-ce toujours comme ça, ou aujourd’hui était jour de marché ? Je ne savais pas. Mais il y avait des stands de chaque côté de la rue.
J’observais le flux constant de passants, oubliant presque pourquoi nous étions venus ici. Puis, Yasushi désigna des enfants. J’étais toujours impressionnée que des enfants, jeunes, puissent vivre ainsi dans la rue.

- Je pense qu'ils vont tenter de s'en prendre au gros bonhomme qui vend des fruits. On l'appelle affectivement "la proie" ou "la cible", car il s'agit du commerçant le plus simple à voler. Tous les débutants passent par lui. Moi aussi, mais j'étais si peu... enclin à voler, que j'ai failli me faire attraper plusieurs fois sans rien chopper.

J’écoutais tout en regardant les enfants s’approcher du marchand de fruits, puis regardai l’adolescent à côté de moi. J’avais du mal à l’imaginer voler, en fin de compte. Mais je savais que s’il l’avait fait, ce n’était pas par pure envie. Quand on n’a pas d’autre choix… Et ça avait été sa seule solution, alors, qui pourrait lui en tenir rigueur ?

- Mais, si tu n’avais rien pris, pourquoi tu te serais fait attraper ? Tant que tu ne vole rien, il n’y a aucune raison de t’attraper, si ?

J’étais peut-être trop innocente pour comprendre. Mais dans le fond, c’était vrai, non ? Pour préciser la façon dont j’avais compris ça, j’ajoutai.

- Je veux dire, on ne met pas les gens en prison parce qu’ils ont pensé à voler.

Mon regard se posait tantôt sur lui, tantôt sur les enfants. Je l’écoutais, mais je les observais. Si j’avais pu aller leur acheter, ces fruits, je l’aurais bien fait. Mais puisque j’étais censée observer, je ne bougeai pas. Il allait falloir que je m’arrange avec Yasushi pour son groupe, pour les aider en achetant ce dont ils avaient besoin.

La surprise qui détonna dans la voix de mon amie m'étonna presque :

- Mais, si tu n’avais rien pris, pourquoi tu te serais fait attraper ? Tant que tu ne vole rien, il n’y a aucune raison de t’attraper, si ? Je veux dire, on ne met pas les gens en prison parce qu’ils ont pensé à voler.

Je me mis à la fixer... puis je me mis à rire d'une façon incontrôlable. Heureusement que je ne mangeais rien cette fois-ci! Je ne pus m'arrêter qu'après quelques minutes pendant lesquelles je m'étais appuyé contre le mur en me tenant la tête et le ventre, toujours en riant. Elle avait vraiment été loin de la réalité des rues, et je ne lui en voulais pas. Je savais que ça allait être compliqué pour elle de comprendre. Pourtant, elle avait réussi les deux premiers défis avec tant de facilité que j'avais presque oublié qu'elle venait d'un milieu aisé, où elle n'avait eu besoin de rien.
Quand je fus enfin calmé, ignorant les passants qui me regardaient étrangement, je répondis à Yumi :

- Désolé, mais c'était plus fort que moi... Rappelle-toi l'exercice pendant lequel tu devais me chiper un truc. Et imagine que tous ces enfants, soit des dizaines, volent le même marchand. Crois-tu vraiment que ce dernier va se souvenir de tous les visages? Certes, je n'avais rien volé, mais d'autres l'avaient fait avant moi. Aux yeux de toutes ces personnes, les voleurs entre 5 et 12 ans se ressemblent plus ou moins et ils ont tendance à tous les mettre dans le même panier, préférant se rappeler de leurs clients. Logique, de leur point de vue...

Pendant que je parlais, je surveillais les allers et venues des gamins qui attendaient, parfois maladroitement, le moment propice pour prendre un truc. De la nourriture de préférence apparemment, puisqu'ils ne jetaient pas un seul regard aux babioles proposées comme des montres, des sacs ou autres accessoires. Puis, l'un d'eux se lança :

- Yumi! chuchotais-je. Regarde par là, lui dis-je en lui montrant un jeune garçon de 8 ans à tout casser qui tentait de voler une pomme sous le nez du gros marchand.

J'espérais... Non. Je priai pour qu'il ne se fasse pas prendre, me demandant s'il était judicieux pour moi d'intervenir si c'était le cas. Il ne faisait pas partie de ma bande et "la cible" me connaissait. Trop bien même... Je n'avais pas tout dit à la jeune fille : je n'avais jamais réussis à le voler et mon visage s'était imprimé dans sa mémoire. Tant et si bien que j'avais dû m'en prendre à d'autres personnes et que, bien souvent, je restais des jours sans manger. Ne souhaitant pas ça à cet enfant, je me promis de l'aider en cas de problème.

Il me fixa un instant, puis se mit à rire. Un peu comme à l’auberge, mais encore plus fort. Je me grattai la tête, les yeux fermés. J’étais vraiment si innocente que ça ? Ce n’était peut-être pas plus mal. J’aurais pu être vexée qu’il rit comme ça, mais je me sentais juste comme une enfant qui ne connaît rien à la vie. Et c’était totalement ça, je ne connaissais pas grand-chose à la vie dans la rue.
Quand je rouvris les yeux – chose que je m’étais forcée à faire pour réduire mon espèce de TIC – me grattant toujours la tête, je remarquai que les passants nous regardaient bizarrement. On ne devait pas avoir l’air franchement commodes, l’un à rire à en perdre la respiration et l’autre se grattant la tête. Mais je n’y fis pas attention. Yasushi se calma et m’expliqua :

- Désolé, mais c'était plus fort que moi... Rappelle-toi l'exercice pendant lequel tu devais me chiper un truc. Et imagine que tous ces enfants, soit des dizaines, volent le même marchand. Crois-tu vraiment que ce dernier va se souvenir de tous les visages? Certes, je n'avais rien volé, mais d'autres l'avaient fait avant moi. Aux yeux de toutes ces personnes, les voleurs entre 5 et 12 ans se ressemblent plus ou moins et ils ont tendance à tous les mettre dans le même panier, préférant se rappeler de leurs clients. Logique, de leur point de vue...

Ce qu’il venait de dire était tout à fait logique. J’aurais dû y penser. Je regardais mon ami en réfléchissant à cette « injustice » qu’il avait vécue. Parce que, il fallait être réaliste, bien que le vol soit illégal, être le bouc émissaire était injuste.

- Yumi! me chuchota-t-il. Regarde par là.

Mon regard quitta son visage pour se porter sur un enfant. Il avait environ… Huit ans ? Je baissai les yeux un instant. Et si il était, lui aussi, un bouc émissaire ? Si c’était son visage que le marchand avait pris comme référence ? Et si… Et s’il lui arrivait quelque chose ? Que faisait-on, dans ce pays, à un enfant qui vole ? Aucune idée. Même au Japon, à vrai dire, je n’avais aucune idée de ce qui arrivait à ces petits.
J’ouvris la bouche, puis la refermai. J’étais sensée observer, et… Comment aider ce petit ? Comment tous les aider ? Je le regardai, presque honteuse d’avoir si longtemps vécu dans autant de richesses. Aujourd’hui, je pourrais faire quelque chose. Non ?
Hésitante, je me décidai finalement à parler, regardant toujours l’enfant.

- Ya-yasushi, je sais que je ne suis là que pour observer, et que… Tous les enfants ne se font pas aider, mais… Il est tout jeune, et si le marchand le retient comme responsable de tous les vols… Est-ce qu’on peut l’aider ? Je ne sais pas comment faire, ni quoi faire, mais… J’ai envie de tous les aider, et comme il est devant nous…

J’espérais qu’il réussisse à voler, tout ce dont il avait besoin. Le marchand était devenu, dans mon esprit comme dans celui du voleur, un danger. C’était étrange de voir la facilité avec laquelle je me mettais à leur place, mais… Je m’y étais mise. Et j’étais du côté des enfants de la rue. Il fallait qu’il réussisse.
Inquiète et légèrement tremblotante, je n'avais que ça en tête. Comme une incantation, je me répétais "Réussis, s'il te plaît, réussis".

Nous observions l'orphelin. Bien que maladroit, il se débrouillait bien. Mieux que moi à son âge. Peut-être avait-il réagis plus vite que moi qui avait mis trois ans avant de commencer à voler. Et encore...

- Ya-yasushi, je sais que je ne suis là que pour observer, et que… Tous les enfants ne se font pas aider, mais… Il est tout jeune, et si le marchand le retient comme responsable de tous les vols… Est-ce qu’on peut l’aider ? Je ne sais pas comment faire, ni quoi faire, mais… J’ai envie de tous les aider, et comme il est devant nous…

Je ne lui répondis pas oralement. Je me mis à la regarder d'un air confiant en lui serrant doucement l'épaule, comme pour lui dire : "Ne t'en fais pas, ça va aller.".
Quelques minutes passèrent pendant lesquelles l'enfant fit des allers et venues, autant d'essais et d'échecs. Il réussit à passer inaperçu... mais sa chance l'abandonna au bout de la vingtième tentative. Le marchand le vit et le prit par le bras. Il gueulait qu'il avait enfin réussis à attraper "un de ces voleurs". Sans attendre, et en espérant que mon amie resterait cachée, je me dirigeai à grands pas au secours du gamin. Lorsque je fus à leur niveau, je pris le poignet de "la cible" et serrai fort. Pas trop pour éviter les histoires, mais assez pour concentrer son attention sur moi. Je ne souriais pas et, du coin de l'œil, je pus voir l'air surpris du petit. Je le comprenais. Quand nous arrivions, on nous répétais sans cesse qu'on était seul, que personne ne viendrais nous aider. Quelle erreur! Mais on ne pouvait pas leur en vouloir : comment pouvaient-ils savoir qu'un orphelin de ces rues garderaient un semblant de solidarité alors qu'il en avait été privé?

Le marchand se tourna lentement vers moi. Son air passa de la victoire à la surprise, puis de la surprise à une colère dirigée vers moi.

- Toi! fit-il en me reconnaissant. Ce ne peut-être que toi qui leur apprend à me voler!

- Pourquoi ferais-je ça? lui demandai-je d'un air détaché. Pour le moment je viens tirer ce gamin, que je ne connais pas encore, d'un mauvais pas pour ensuite lui faire une proposition.

- Si tu tiens tant que ça à l'aider, paie moi tout ce que tu m'as volé!! hurla-t-il, me faisant soupirer.

- Je n'ai jamais réussis à vous voler quoi que ce soit, tout comme ce petit que vous avez attrapé avant qu'il n'y parvienne. Que voulez-vous faire? Le mener à la police en lui mettant sur le dos tous les vols que vous avez subis pendant.. quoi? 20 ou 30 ans? Vous savez bien qu'il est trop jeune pour en être responsable.

Le marchand me regarda avec un air assassin pendant quelques minutes. Malgré une certaine appréhension qui me nouait l'estomac, je soutins son regard. Puis il renonça, à mon grand soulagement. Il lâcha le gamin, à qui je tendis la main après avoir lâché le bras de "la proie". Le petit m'accompagna ensuite vers Yumi à qui je souris gentiment.

Il posa sa main sur mon épaule, la serrant tout doucement, et me regarda d’un air rassurant. Je souris timidement. Si l’être humain pouvait fondre, c’était ce que j’aurais fait. Puis mon attention se porta à nouveau sur l’enfant. Il me semblait rapide et discret, mais pas très efficace. Ses allers-retours se soldaient tous par des échecs. Je continuais d’espérer qu’il réussisse à voler quelque chose à ce marchand, mais soudain, le petit s’arrêta. Le marchand lui avait saisi le poignet. Avant même que je n’aie pu songer à bouger, Yasushi partit aider le petit.
Quand il arriva près d’eux, il prit le poignet du marchand dans sa main. Sincèrement, j’avais peur pour mon ami. S’il avait vraiment été tenu pour responsable des vols alors qu’il était enfant, il risquait d’avoir des ennuis. Je décidai de m’approcher un peu, juste assez pour l’aider en cas de besoin. Moi, il ne m’avait jamais vue, il n’aurait rien à me reprocher. Pendant que l’enfant avait l’air surpris, l’homme, lui, avait l’air furieux.

- Toi! Ce ne peut-être que toi qui leur apprend à me voler!

C’était une idée, ou ce marchand était vraiment égocentrique ? « Le » voler ? Pourquoi lui donnerait-on une si grande importance qu’on ne volerait que lui ? Il m’énervait.

- Pourquoi ferais-je ça? Pour le moment je viens tirer ce gamin, que je ne connais pas encore, d'un mauvais pas pour ensuite lui faire une proposition.

Bien répondu. C’était la vérité, de toute façon, mais il avait formulé ça d’une façon qui me paraissait tout à fait bien. Bon sens de la répartie.

- Si tu tiens tant que ça à l'aider, paie moi tout ce que tu m'as volé!!

Je m’énervais encore un peu plus. Pourquoi ramenait-il tout à lui ? En théorie, j’aurais dû être du côté du marchand, c’était lui la victime. En théorie seulement. Lui, il ne vivait pas dans la rue. Et puis, il n’avait pas à hurler comme ça ! Surtout sur mon ami.

- Je n'ai jamais réussis à vous voler quoi que ce soit, tout comme ce petit que vous avez attrapé avant qu'il n'y parvienne. Que voulez-vous faire? Le mener à la police en lui mettant sur le dos tous les vols que vous avez subis pendant.. quoi? 20 ou 30 ans? Vous savez bien qu'il est trop jeune pour en être responsable.

Il avait un vrai sens de la répartie. L’homme regarda Yasushi d’un œil noir, puis il lâcha le petit quelques minutes après. Il avait réussi ? Ma colère laissa place à de la joie. J’étais heureuse et soulagée qu’il ait réussi à aider l’enfant. Mon camarade prit la main du jeune garçon et, alors que je sortis de ma « cachette », ils s’avancèrent vers moi. Yasushi me souriait gentiment, et je souris moi aussi, d’un sourire encore plus joyeux.

- Tu as vraiment été super, tu sais ? Je veux dire, tu as bien répondu ! Je sais qui aller voir si j’ai besoin d’être défendue, maintenant. Enfin. Euh. Ca n’arrivera pas. Mais… Enfin, voilà.

Un peu rouge, je baissai les yeux en me grattant la tête. Il fallait que je trouve quelque chose d’intelligent à dire. Ou au moins d’utile. Mon regard se posa sur l’enfant.

- Comme il ne m’a pas vue, je vais aller acheter à manger. Je reviens tout de suite !

Avec un peu de chance, ça leur ferait plaisir. Mais au moins, ça m’aura permis de m’échapper. Je n’avais pas laissé le temps à Yasushi de refuser. En avançant vers le marchand – il ne valait mieux pas que je m’éloigne trop, pour ne pas me perdre, alors j’étais allée là où je pouvais voir mes compagnons – je n’étais pas sûre d’avoir pris la bonne solution. Je pris quelques fruits et légumes, juste assez pour lui, qui pouvaient se manger crus et qui n’étaient pas trop durs. Puis je revins rapidement vers mon camarade et l’enfant. Je m’accroupis devant le petit.

- Tiens, dis-je en lui tendant le sachet, c’est pour toi.

Il eut l’air surpris et me tira le sac des mains. Je lui souris. Si on m’avait dit, ce matin, que je ferais tout ça en quelques heures, je n’y aurais jamais cru. Mais au moins, j’apprenais les choses de la vraie vie. Pas des choses inutiles.
Je me relevai, n’osant pas vraiment regarder Yasushi. Je me contentai de regarder le mur derrière lui. Je n’avais aucune idée de ce qu’il pourrait me dire, j’espérais juste que ce ne serait pas trop mauvais. Et surtout, que je n’avais pas gâché la proposition qu’il voulait faire au petit.

- Tu as vraiment été super, tu sais ? Je veux dire, tu as bien répondu ! Je sais qui aller voir si j’ai besoin d’être défendue, maintenant. Enfin. Euh. Ca n’arrivera pas. Mais… Enfin, voilà.

Pourquoi était-elle si contente? Bien que je sois soulagé d'avoir aidé ce gamin, je n'étais pas encore prêt à faire preuve d'une joie aussi grande. Après peut-être avions nous simplement des points de vue différents. J'allais lui dire le fond de ma pensée quand elle partie en disant :

- Comme il ne m’a pas vue, je vais aller acheter à manger. Je reviens tout de suite !

L'enfant et moi la regardâmes partir vers le marchand avec lequel nous venions d'avoir une altercation.

- Elle est bizarre, marmonna-t-il.

Je ne répondis pas. Je n pouvais pas le contredire puisque je le pensais aussi parfois. Et, de toute façon, elle revenait aussi rapidement qu'elle était partie. Elle s'accroupit et tendit un sac en plastique au gamin :

- Tiens, c’est pour toi.

La surprise du môme était fondée : certainement était-ce la première fois qu'on lui offrait de la nourriture. Mais cela ne l'empêcha pas de prendre vivement le sac. Mon amie se releva. Même si elle me faisait face, son regard était ailleurs. Cela me fit soupirer avant de les entraîner au point d'observation. Puis, je fis :

- Je sais pas pourquoi tu as l'air de te sentir coupable, jeune écervelée, mais j'ai pas grand chose à te reprocher. Simplement qu'au lieu d'aller chez "la proie" t'aurais pu voir sa voisine...

- T'es un orphelin aussi??! s'exclama le jeune garçon, complètement choqué.

Je m'accroupie à mon tour pour lui faire face. Je le regardai dans les yeux et lui expliquai calmement :

- Oui, je suis un orphelin depuis l'âge de cinq ans. Et comme je sais les difficultés qu'on peut avoir à vivre dans la rue, pour l'avoir vécu, j'essaie de venir en aide aux mômes comme toi...

- J'suis pas un môme! s'écria-t-il.

- Mais il y a quelques conditions pour obtenir ma protection, continuai-je sans me démonter.

- Comme quoi?

- Interdiction de voler, lui répondis-je très sérieusement, ne pas se battre pour rien et encore moins pour la nourriture. La nourriture se partage. Ce sont les principales règles que je m'efforce moi-même à appliquer pour montrer l'exemple à tous les gamins comme toi.

- Je n'suis pas un... !! Euh... pourquoi tu semble dire que j'suis pas le premier à qui tu fais c'te proposition?

J'avais piqué sa curiosité, ce qui était un grand pas. Avec un peu de chance, le fait de savoir que beaucoup vivaient très bien avec ces règles de conduites (même si j'aimais pas tout ce qui touchais à une certaine autorité) allait l'aider à se décider de manière positive.

- Parce qu'ils sont beaucoup à avoir accepté la proposition que je suis en train de te faire. Après, à savoir combien ils sont...

Je me tournais vers la jeune fille et lui demandais :

- Ils sont combien à peu près?